Depuis le temps qu’il s’exprime à l’extrémité de cet estimable magazine, le Boualem a fini par prendre de l’âge, comme tout le monde. Il faut rappeler que, lors de ses premiers écrits ici même, il n’y avait pas le moindre réseau social, envoyer un SMS était un projet colossal, et on se perdait tout le temps faute de géolocalisation.
Oui, il est là depuis longtemps, le bougre. Au fil des années, il est passé du statut de jouvenceau incontrôlable à celui d’adulte plus ou moins lucide, avant de se diriger vers celui d’aspirant analyste, sage mais bougon, avec un succès contestable. Mais il a toujours fait très attention à ne pas se transformer en vieux bouc aigri, geignant sur l’évolution du monde et répétant comme un mantra que c’était mieux avant.
“Le Boualem vous annonce avec le plus grand des sérieux la fin du monde. Nous allons rapidement être entourés de zombies”
Tout d’abord parce qu’il n’est pas convaincu que c’était mieux avant, ensuite parce que, ingénieur de son état, il a grandi avec un a priori positif pour la technologie. Cette noble attitude, pourtant, ne peut le retenir, cette semaine, de vous annoncer avec le plus grand des sérieux la fin du monde, et merci. La première information qui l’a convaincu que nous allions être engloutis dans le délire collectif, c’est l’annonce d’un glorieux acteur technologique de la place d’un nouveau produit révolutionnaire.
On a présenté une sorte de casque qui plonge celui qui le porte dans son téléphone, pour aller vite. Avec cette diablerie sur les yeux, vous pouvez vous immerger dans votre écran, voilà l’idée. Allez regarder par vous-même, les mots manquent un peu pour décrire cette affaire. Il ne fait aucun doute que ce gadget va faire un malheur. Nous allons donc rapidement être entourés de zombies, dont seule la carcasse corporelle encombrera l’espace que nous partageons. Nous ne voyons plus nos enfants, ils ont déjà le nez dans leur téléphone, mais quand cette innovation sera diffusée, ils ne nous verront plus non plus, c’est une abomination.
Et il y a pire, les amis. Zakaria Boualem est tombé sur une vidéo où un singe, hachakoum, jouait sur un jeu vidéo, qu’il contrôlait par son cerveau tout en sirotant un smoothie à la banane. Cette vision infernale l’a bouleversé. Le primate, par la grâce d’une puce insérée dans le cerveau, peut contrôler un jeu, sans joystick, et, bien sûr, on vient nous expliquer que nous sommes les prochains sur la liste.
On nous raconte que, grâce à cet implant, les handicapés pourront marcher, ce genre de choses. Le démiurge à l’origine de ce projet nous annonce que “les gens qui n’ont pas la possibilité de bouger leurs muscles pourraient ainsi contrôler leur téléphone plus rapidement que quelqu’un qui utiliserait ses mains”. C’est une perspective extraordinaire, n’est-ce pas, que celle de s’insérer une puce dans la tête pour mieux contrôler son téléphone. Grâce à cette chose, on pourrait apprendre des langues, par exemple, avec une mise à jour, c’est un prodige.
En vérité, cette ignominie va servir à deux choses. La première consiste à prendre le contrôle de nos cerveaux pour permettre à ces démons de nous faire de la pub directement dans nos idées. Imaginez un peu le prix qu’est prêt à payer n’importe quel marchand pour un accès direct à nos cortex… La seconde consiste à vérifier un peu à quoi on réfléchit, et de nous aider à faire le tri entre les mauvaises idées. Publicitaires et sécuritaires, les grands bénéficiaires de l’Internet, par exemple, je vous annonce ici même qu’il faudra passer sur le corps du Boualem avant de lui insérer quoi que ce soit dans le cerveau, et merci.