L’islam politique a-t-il dit son dernier mot ?

Par Réda Dalil

Je ne veux pas revenir au gouvernement… sauf si c’est nécessaire ou si Sa Majesté m’y oblige.” Noyée dans le déluge de paroles de Abdelilah Benkirane, cette déclaration, entendue le 21 mai lors des journées portes ouvertes du PJD à Fès, est presque passée inaperçue.

En réalité, elle dénote clairement du désir brûlant du PJD de revenir au pouvoir. En subissant une dégelée dans les urnes en 2021, le PJD passait pour mort. Sa chute de 125 à 13 sièges parlementaires et la sanction de la plupart de ses cadres par les électeurs paraissaient condamner ce parti de référentiel religieux à une longue traversée du désert.

Or, deux éléments semblent refaire souffler du vent dans ses voiles. D’abord les difficultés auxquelles fait face le gouvernement actuel. La transition politique de 2021 mettait le pouvoir entre les mains d’un parti, le RNI, aux atomes crochus avec le Palais. Un parti au libéralisme décomplexé, dirigé par un homme d’affaires parmi les plus fortunés du pays et qui, fort de sa connaissance des rouages de l’économie, de son relationnel en or massif parmi les élites nationales et étrangères, annonçait l’ouverture d’une très probable parenthèse de prospérité pour le pays.

En 2021, nous étions donc face à un parti dominant, totalement aligné avec les orientations royales, disposant de la confiance de l’appareil de l’état et maître, pensait-on, dans l’art de générer puis de flécher les capitaux vers de l’investissement productif.

Seulement, rien ne s’est passé comme prévu. Ni la croissance, ni l’emploi, ni l’investissement privé national n’ont suivi. Après presque deux ans aux manettes du pays, Aziz Akhannouch patine dans un cloaque de blocages, dus certes en partie à la conjoncture internationale, mais sans doute aussi à des approximations dans le mode de gouvernance. L’inflation qui perdure et un marché du travail disqualifiant vis-à-vis de millions de jeunes en attestent.

Le deuxième élément qui pourrait redonner de l’espoir au PJD est le suivant. Les prises de pouvoir par le maréchal Al Sissi en Egypte et par Kaïs Saied en Tunisie ont installé le narratif selon lequel l’islam politique est mort et enterré. Les héritiers du mouvement frériste qui ont largement prospéré au lendemain des Printemps arabes affichent, en effet, triste mine. Même le sultan néo-ottoman Recep Tayyip Erdogan était donné pour perdant à l’élection présidentielle turque. Une défaite qui devait définitivement marquer le trépas de l’idéologie islamiste.

Or, surprise, Erdogan est bien vivant. Arrivé en tête au premier tour du scrutin présidentiel, il devrait, sauf grosse surprise, et sans trop de difficultés, disposer, le dimanche 28 mai, de son concurrent Kemal Kiliçdaroglu. La survie d’Erdogan contredit évidemment la thèse selon laquelle les mouvances islamistes seraient en voie d’extinction.

Nul n’ignore que le PJD calque soigneusement son logiciel sur celui de son homonyme turc l’AKP. Pour les ouailles de Benkirane, la renaissance de ses cendres du phénix turc Erdogan est une excellente nouvelle, qui aiguise leurs appétits de come-back. Sans doute est-ce cela qui explique en partie la vigueur nouvelle avec laquelle le secrétaire général du PJD tacle Aziz Akhannouch. Si l’on prend en compte l’atonie relative des autres forces d’opposition au parlement, le PJD pourrait remonter la pente.

Mais serait-ce une bonne nouvelle pour le pays ? Au fond, l’unique facteur qui eût rendu indésirable cette hypothèse aurait été que le RNI génère une dynamique économique et sociale concrète, basée sur des réformes visant l’amélioration du bien-être et du pouvoir d’achat des citoyens. Certes, Aziz Akhannouch dit travailler sur le long terme. Ses actions d’aujourd’hui, nous explique-t-on, sont configurées pour apporter des résultats pérennes et structurels dans l’avenir.

Sauf que les Marocains sont en attente de bienfaits immédiats. Du reste, nous l’avons vu, les batailles du ministre PAM de la Justice, Abdellatif Ouahbi, en faveur d’un Code pénal plus souple quant aux libertés individuelles semblent, hélas, vouées à l’échec, contrecarrées par des forces au sein même de la majorité, et aussi, il faut le dire, par un état d’esprit ambiant nullement prêt à accepter davantage d’égalité des genres. Que ce soit sur des sujets comme l’héritage ou le simple fait de disposer de son corps.

“Finalement, RNI ou PJD, les différences sont infimes. Nous avons là deux partis ultra-libéraux et peu empressés de pousser vers de profondes réformes modernistes de la société”

Réda Dalil

Finalement, RNI ou PJD, les différences sont infimes. Nous avons là deux partis ultra-libéraux et peu empressés de pousser vers de profondes réformes modernistes de la société. Au fond, que l’islam politique revienne en force, ou qu’il meure de sa belle mort, ne change pas grand-chose pour les Marocains. Car, en réalité, l’AKP turc a ceci de différent de notre PJD est qu’il compte en son sein des cadres ultra-compétents, qui ont réussi à transformer la Turquie en termes d’infrastructures, d’industrie, de commerce et ont su générer une nouvelle classe entrepreneuriale extrêmement dynamique. Ce que le PJD n’a jamais réussi à faire. Ni le RNI d’ailleurs.