Inflation : et si on parlait des grandes surfaces ?

Par Réda Dalil

Comme partout dans le monde, l’inflation a changé de physionomie. Provoquée à l’origine par l’explosion des prix des hydrocarbures, elle a désormais trouvé refuge dans le secteur des produits alimentaires. Sur le premier trimestre 2023, la composante alimentaire de l’inflation (18,4%) a très largement surperformé l’inflation générale (9,4%). Mais si la dimension agricole de ces hausses des prix a très largement été commentée, peu s’intéressent à sa variante produits agro-industriels finis.

Notamment ceux proposés dans les grandes surfaces. Les comportements de consommation des Marocains en milieu urbain ont connu une évolution majeure ces 20 dernières années. De grands groupes de distribution disposent à présent d’une clientèle massive qui délaisse les petits commerces de quartier et les souks éphémères, pour se ruer dans les travées des supermarchés.

Ce basculement place des millions de citoyens entre les griffes de grands groupes que l’on compte sur les doigts d’une main. Leur puissance oligopolistique est telle qu’ils agissent directement sur la santé du pouvoir d’achat national. Qu’ils atténuent leurs prix et le revenu disponible des ménages s’en voit amélioré, qu’ils les augmentent et les ponctions dans le portefeuille des Marocains deviennent abyssales.

Or, comme l’indique le niveau d’inflation alimentaire actuelle, il est fort à parier que les distributeurs auraient plutôt eu tendance à doper leurs prix. Nous le disions dans un édito précédent :Dès lors que l’inflation induite par le conflit russo-ukrainien a touché le royaume, les grands acteurs économiques nationaux ont procédé à des augmentations de prix préventives, parfois en plusieurs vagues. à partir du moment où les leaders du marché ont sauté le pas, ils ont immédiatement été suivis par leurs concurrents. Un mimétisme renvoyant à une sorte d’entente officieuse, non préméditée (mais qui sait ?)”.

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Ce phénomène a un nom : le corporate greed, autrement dit la cupidité du big business. Il est à présent avéré que les acteurs de la grande distribution en Europe ont profité du climat inflationniste pour accroître artificiellement leurs marges. Créant ce que l’on appelle une boucle prix-profits et participant au maintien dans le temps de la hausse générale des prix.

“Un des leaders de ce marché a augmenté son résultat d’exploitation de 19% en 2022, son résultat courant de 20% et ses dividendes de 25%”

Réda Dalil

Hélas, les données au Maroc sont tellement rares qu’il est difficile de faire un parallèle avec ce à quoi on assiste sur le Vieux continent. Mais enfin, il ne s’agit pas d’être l’oracle de Delphes pour se rendre compte que les prix dans les rayons ont flambé depuis plus d’un an ! Et cela s’observe dans les résultats des distributeurs. Sans le citer nommément, un des leaders de ce marché a augmenté son résultat d’exploitation de 19% en 2022, son résultat courant de 20% et ses dividendes de 25%.

Quel événement exceptionnel, sinon un opportunisme bien calculé, pourrait expliquer ces chiffres records ? (Les Marocains ne sont pas subitement devenus boulimiques !) L’ennui, c’est que la focalisation de l’opinion publique et des médias sur les marges indécentes des pétroliers a, selon toute probabilité, permis aux enseignes de passer entre les gouttes, de raser les murs. En gros, de faire les passagers clandestins en glissant des hausses de prix ni vu ni connu.

Mais avec un Conseil de la concurrence plutôt discret, personne n’est venu interroger les profits importants réalisés par les grandes surfaces ou les grands groupes agroalimentaires. Au moment où l’inflation comprime le pouvoir d’achat des ménages, le gouvernement ne tente même pas de déplier l’engrenage opaque des distributeurs, avec sa panoplie de marges avant, marges arrière et rétro-commissions. Si le cadre oligopolistique dans lequel évoluent les enseignes de distribution (supermarchés, hypermarchés, hard discount) est difficilement contestable sur le court terme, il reste que l’Exécutif est en capacité de mettre en lumière la formation des prix sur les rayons.

Comment ? En imposant un “argus” quotidiennement actualisé des prix d’achat exigés par les producteurs. Cela se fait dans de nombreux pays. En Israël, cette technique a permis d’encourager la compétition commerciale entre grandes surfaces, résultant sur des baisses de prix de l’ordre de 5%. Sur le long terme, il faudra, comme le suggère le Nouveau modèle de développement, encourager la concurrence dans ce secteur ultra-concentré, qui condamne le consommateur à payer son caddie à des prix délirants.

La petite famille de la grande distribution mériterait d’accueillir des acteurs plus agressifs dans leur “pricing”. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il n’empêche, exiger tout de suite une transparence totale sur les coûts d’approvisionnement et, partant, sur la constitution des prix proposés au consommateur serait un bon début. La balle est dans le camp du gouvernement.

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