En avril, ne te découvre pas d’un fil

Par Fatym Layachi

C’est une drôle de période. Enfin non, ce n’est pas exactement ça. Ce n’est pas une période drôle au sens drolatique de la chose. C’est une période étrange. C’est toujours comme ça pour toi à cette période de l’année. C’est un peu la saison du doute. Et pour toi, le doute, ça n’est pas exactement un moteur. Bien au contraire. Le doute, comme son nom l’indique, te fait douter, et c’est clairement un état que tu ne supportes pas.

Toi, tu aimes savoir, tu aimes maîtriser, ou au moins en donner l’impression. Ce qui au final est bien plus important que ton petit ressenti intérieur. Ça, on s’en fout, ce qui compte, c’est ce que tu montres. Tu peux bien douter autant que tu veux : si tu marches bien droit et que tu te la pètes autant que d’habitude, ça te va. Mais le problème, c’est que ce n’est pas du tout le cas en ce moment. Tu ne sais pas sur quel pied danser, ni même s’il faut danser d’ailleurs. Tu n’aimes vraiment pas ce mois d’avril. Il est, comme février, bancal et incertain.

En avril, ne te découvre pas d’un fil. C’est ce qu’on te répétait quand t’étais gosse. Et c’est ce qu’on continue de répéter aux gosses. Même si ça n’a plus trop de sens. En même temps, qu’est-ce qui en a, du sens ? À bien y regarder, tu ne sais pas trop. Une chose est sûre, tu ne vas sûrement pas résoudre ta quête de sens aujourd’hui. Ni même demain d’ailleurs. La résoudras-tu un jour ? Rien n’est moins sûr. Bon, pas de raison de t’en préoccuper plus que ça finalement.

“Sauf que là, il fait chaud. Les proverbes passent très moyennement l’épreuve du changement climatique”

Fatym Layachi

En avril, ne te découvre donc pas d’un fil. Sauf que là, il fait hyper chaud. Les proverbes passent très moyennement l’épreuve du changement climatique. Pas totalement valables en tout temps et en tout lieu, ces petites phrases pourtant hyper pratiques à retenir quand on est gosse. Enfin bref, là encore tu t’égares. Ça doit être de saison, ça aussi, l’égarement. Tout comme le doute, l’incertitude et l’inconfort qu’il provoque. Les températures sont en hausse. Ta motivation pour bosser suit la courbe exactement inversée.

Et le problème, c’est que tu dois bosser. Tu as même quatre tonnes de boulot. Il fait chaud, mais ce n’est pas du tout les vacances. En plus, tu viens tout juste de rentrer d’un bien trop long week-end pour avoir l’indécence de penser déjà à un autre bien trop long week-end.

Pourtant, Zee commence déjà à t’envoyer des idées estivales. Elle t’a déjà forwardé deux mails de promo de compagnies aériennes et plusieurs screenshots de super bons plans inratables de baraques à louer. Tu ne sais absolument pas ce que ces plans ont de super bon ou d’inratable. Tu te contentes d’essayer de croire Zee. Et surtout tu entends l’emphase et l’excitation dans sa voix. Même à l’écrit, tu entends les syllabes qui deviennent blocs et les voyelles qui se rallongent. C’est supeeeeeeeer. Et in-ra-ta-ble. Tu ne vas même pas aller voir à quel point ces baraques à louer sont géniales.

Tu résistes. Tu ne vas pas cliquer. Non, vraiment, tu te dis que tu ne peux décemment pas déjà penser aux prochaines vacances. Ça te paraît presque absurde. C’est comme si, à peine sortie de table au déjeuner, tu te demandais déjà dans quel resto tu allais dîner. Absurde, mais tu dois reconnaître que ça t’est déjà arrivé. Et pas qu’une fois ! Comme quoi, on n’est jamais à une absurdité près. En tout cas, pas toi.

Du coup, tu te laisses tenter et tu cliques sur les liens envoyés par Zee. C’est vrai que c’est beau. Ça donne envie. Alors tu te mets à te projeter dans ces maisons, dans ces vacances. Tu ne doutes plus. Tu te sens bien mieux. Finalement, embellir ses perspectives, c’est encore plus efficace pour le moral que de tenter d’améliorer son quotidien. Et même si elles ne se réalisent pas, ça aura été de doux rêves. Et c’est déjà ça, rêver.