Il arrive régulièrement que notre paisible contrée soit traversée d’une puissante convulsion numérique. Nos réseaux sociaux s’enflamment et s’indignent, soudain, avant de passer à autre chose, tout aussi subitement, sans plus de formalités. Et Zakaria Boualem, bien entendu, se doit de venir rapporter ce genre d’épisodes, tant ils nous éclairent sur ce que nous sommes, ils pavent notre avancée vers les lumières de la construction du Maroc moderne.
“On a maudit la pécheresse et son impudeur avec l’habituelle surenchère de ceux qui savent qu’ils peuvent passer pour des héros de la morale et de la religion juste en ayant l’air plus choqués que leurs voisins”
Vous connaissez sans doute l’affaire : il s’agit d’une capsule vidéo mettant en scène une jeune fille qui, après un processus de sélection sommaire, finit par jeter son dévolu sur un type sans voir son visage. Cette longue phrase aurait pu être résumée par l’expression blind dating – si seulement Zakaria Boualem la connaissait – car c’est bien de cela qu’il s’agit. La malheureuse influenceuse a estimé que, pour l’occasion, il fallait se présenter en minijupe, et c’est là que la cafetière collective se met à siffler à l’unisson.
Les réseaux se sont offusqués – le mot est faible – comme ils savent si bien le faire quand ils estiment que l’honneur de la tribu est en danger. A coup de statuts, de tweets, de posts, on a maudit la pécheresse et son impudeur avec l’habituelle surenchère de ceux qui savent qu’ils peuvent passer pour des héros de la morale et de la religion juste en ayant l’air plus choqués que leurs voisins. Avec, en bonus, la violence toute particulière qui sévit sur nos réseaux depuis quelques mois, ce mélange d’intimidation et de harcèlement qui fait de ces lieux virtuels le pire endroit au monde pour débattre.
“Si on s’amusait à faire intervenir la police de la décence avec des critères aussi tatillons, c’est bien la moitié d’Instagram qui risquerait de finir dans la Stafette, les amis”
Le Boualem a déjà vécu ce genre de choses, il connaît ce phénomène, qui a été abondamment décortiqué dans ces mêmes colonnes. Nous savons depuis longtemps que nous nous situons dans une zone où la meute règne, qu’elle ne manifeste pas un grand souci des textes légaux ou des détails, qu’elle impose sa morale selon son humeur, et nous savons aussi qu’elle va, très rapidement, passer à autre chose.
Nous savons aussi que la raison n’a pas vraiment de place dans cette affaire, que la désignation de cette demoiselle à la vindicte populaire est un mélange d’arbitraire et d’irrationnel. Car si on s’amusait à faire intervenir la police de la décence avec des critères aussi tatillons, c’est bien la moitié d’Instagram qui risquerait de finir dans la Stafette, les amis.
“Si elle avait fait, avec la même tenue, une vidéo tutorielle sur les techniques d’épilation pour plaire à son homme quand il rentre fourbu après une journée de travail, personne n’aurait hululé à l’infamie”
Il est d’ailleurs bien possible que ce qui a dérangé nos héros de la décence, c’est plus le scénario de la vidéo que la tenue de son héroïne, puisqu’il attaque frontalement la masculinité du chasseur qui devient chassé, par une minijupe en plus. Il y a des centaines de jeunes femmes habillées de la sorte dans notre pays, mais le fait que celle-ci s’amuse à “blind dater” les gars est une audace insupportable pour notre vision du sexe faible. Si elle avait fait, avec la même tenue, une vidéo tutorielle sur les techniques d’épilation pour plaire à son homme quand il rentre fourbu après une journée de travail, personne n’aurait hululé à l’infamie.
Une autre chose amusante, c’est celle de constater qu’ils sont largement plus de deux millions à avoir cliqué sur la fameuse vidéo, et 210 000 d’entre eux ont estimé qu’ils devaient poster un commentaire, la plupart du temps scandalisé. L’option de ne pas regarder une chose aussi dangereuse, donc, n’a pas été retenue : il était important, pour plusieurs centaines de milliers de personnes, de venir regarder quelque chose qui, selon elles, ne devrait pas exister.
Et puis, pour terminer, il y a la réaction de nos autorités, qui ont bloqué aux frontières la demoiselle le temps d’une enquête dont on se demande bien en quoi elle consiste. Elles aussi, apparemment, suivent le buzz, et vont jouer leur partition éculée, encore une fois. Tout ceci est donc profondément fatigant, c’est tout ce qu’il y a à dire, et merci.