Milton Friedman affirmait tout au long de sa vie que « l’inflation est surtout et partout un phénomène monétaire ». Cette observation, qui stipule que l’inflation ne peut être causée que par une offre monétaire excessive en circulation(la quantité d’argent en circulation) , constitue l’un des fondements de l’orthodoxie économique libérale qui règne depuis les années 80 et qui façonne les politiques monétaires des banques centrales en les responsabilisant par rapport à l’évolution du niveau générale des prix au sein des économies.
L’inflation est bel et bien généralisée aujourd’hui et représente une problématique économique urgente à l’échelle mondiale et du coup tout le monde en subit les conséquences avec des ampleurs différentes. Le surgissement de l’inflation aujourd’hui est largement expliqué par une politique économique accommodante (monétaire et budgétaire) instaurée dès l’avènement de la crise sanitaire, et qui s’est manifestée à travers une baisse des taux directeurs, des réserves obligatoires accompagnées de stimulus fiscal et budgétaire, destinés prioritairement aux agents économiques du secteur réel (ménages et entreprises) fortement impactés par la pandémie. Cependant, il nous semble que l’histoire ne se résume pas à cette courte version explicative portant en premier lieu sur les mesures prises durant la période du Covid-19,et en deuxième lieu sur le récent conflit russo-ukrainien.
Aujourd’hui, le facteur négligé des explications est qu’une inflation qualifiée de discrète existait déjà, à la suite d’un laxisme monétaire initiée par la BCE (Banque centrale européenne) et la FED (Réserve fédérale américaine ) après la crise de 2008 à travers un ensemble de mesures de taux d’intérêts très faible qui ont duré jusqu’en 2015. Or, l’émergence de cette inflation qualifiée de discrète était retardée puisque la masse monétaire injectée après la crise a bénéficié primordialement au secteur financier ; alors que la manifestation réelle de cette inflation discrète n’a commencé à voir le jour qu’à partir de 2015, et la réaction de la FED par une augmentation du taux directeur durant cette même année et les années suivantes corroborent fortement cette hypothèse. Par conséquent, la lutte contre cette inflation est interrompue avec la crise de covid19 qui a nécessité le retour à l’adoption de certaines mesures de politiques économiques expansionnistes qui ont alimenté l’inflation.
L’inflation d’aujourd’hui est en partie expliquée par une plus au moins ancienne politique économique accommodante dont les conséquences n’ont commencé à se manifester qu’assez tardivement et qui s’est rajoutée bien évidemment aux nouveaux facteurs déclencheurs du choc inflationniste ; à savoir la récente politique économique expansionniste et le conflit russo-ukrainien.
Quid de l’inflation des pays en voie de développement et de l’Afrique Subsaharienne ?
Les économies des pays en voie de développement et de l’Afrique subsaharienne sont devant l’un des épisodes les plus difficiles ces deux dernières décennies, marqué par une reprise difficile après la pandémie et une inflation constituant l’une des problématiques urgentes qui pourrait menacer la stabilité économique et politique de ces pays.
Alors que l’inflation est générée par une forte pression de la demande intérieure aux Etats Unis[1]à la suite d’une disponibilité des moyens de paiements, elle est tirée par d’autres facteurs externes tels que les prix mondiaux des matières premières dans d’autres pays du monde[2]. Cette pression sur la hausse des prix des matières premières découle en premier lieu d’une forte demande sur les marchés internationaux provenant des pays développés (Union européenne et les Etats-Unis) qui ont bénéficié d’un pouvoir d’achat assez élevé grâce à des politiques économiques expansionnistes, avant de découler de la guerre russo-ukrainienne. Etant donné que de nombreux pays en voie de développement de l’Afrique subsaharienne dépendent largement des importations alimentaires et des énergies, la récente flambée des prix du blé et des énergies a accru la pression sur les prix intérieurs de ces biens, surtout dans les pays avec une balance commerciale déficitaire. L’impact ne s’est pas seulement limité au canal des importations, mais également à celui des exportations. En effet, la première vague d’augmentation des prix dans les pays développés a incité les exportateurs des pays en voie de développement à adopter un comportement maximisateur de profits. Ils ont saisi cette opportunité pour réduire l’offre locale et orienter la production des biens alimentaires vers l’étranger, créant ainsi une pénurie locale qui a alimenté cette inflation.
Dan sa note sur la région de l’Afrique subsaharienne[3]le FMI souligne que les biens échangeables ont largement contribué à l’inflation, tandis que les prix des biens et services non échangeables n’ont augmenté que modestement. Cette déclaration confirme l’hypothèse que ces pays ne font que subir les conséquences des politiques économiques accommodantes implémentées aux Etats-Unis et dans l’Union européenne; en effet, cette modeste augmentation de la contribution des biens non échangeables peut refléter le fait que les pressions de la demande intérieure globale sont restées modérées dans toute la région ; ce qui confirme également l’idée que les politiques monétaires et budgétaires dans ces pays n’accusent pas des attributions directes du déclenchement de cette inflation ce qui remet en cause toute politique monétaire restrictive visant à limiter l’inflation par une augmentation des taux d’intérêt directeurs. Sans aucun doute, certains facteurs nationaux tels que les changements climatiques et la sécheresse ont partiellement contribué au processus de développement de l’inflation mais de façon hétérogène selon les spécificités de chaque pays. Le dernier facteur des anticipations inflationnistes des agents économiques en est un autre problème qui complique la gestion pour ces pays et qui a alimenté l’inflation surtout dans un cadre de faible crédibilité et de manque de confiance dans les institutions monétaires.
La lutte contre l’inflation : quelles marges de manœuvres dans un monde d’interdépendance économique ?
L’épisode inflationniste d’aujourd’hui est identique à celui des années 70 mais dans un contexte caractérisé par une interdépendance bien tendue entre les économies, qui laisse souvent peu de marge de manœuvre pour les pays en voie de développement,
La lutte contre l’inflation récente a commencé en 2022 par un ensemble de mesures monétaires d’augmentations des taux d’intérêt directeurs afin de limiter la quantité de la masse monétaire en circulation. Or, cette hausse des taux d’intérêt initiée par les grandes économies émettrices de devises internationales (Euro et Dollar) a incité généralement l’ensemble des pays en voie de développement à suivre les mêmes plans d’action afin de minimiser le différentiel des taux d’intérêts de peur d’un déplacement soudain des capitaux vers les Etats-Unis et la Zone Euro ; ce qui pourrait déstabiliser leurs économies. Cette pression exogène de hausser les taux d’intérêt par les pays en voie de développement pourrait avoir des conséquences sur la charge de la dette nationale de ces pays ce qui détériore davantage la situation macroéconomique des pays déjà très endettés et complique d’autant plus la tâche pour les gouvernements qui seront pointés du doigt. De même que, pour éviter une forte dépréciation de leurs monnaies et par conséquent une crise de change qui pourrait être causée par un déplacement des capitaux, cette hausse du taux d’intérêt se fait abstraction de la conjoncture et des conditions de chaque pays de cette catégorie et peut causer une récession dans certaines économies qui se trouvent déjà dans une lente phase d’ajustement et de reprise de leur activité économique après la crise du Covid-19. Cependant, les pays mettant des restrictions sur la libre mobilité des capitaux sont légèrement moins exposés à ce genre d’arbitrage entre contenir l’inflation et supporter la reprise de l’activité économique. En effet, Les banques centrales des pays en voie de développement et de la région Afrique subsaharienne (Ghana, Kenya, Nigéria, Ouganda, l’Union économique et monétaire ouest-africaine, etc…) avaient déjà commencé à relever les taux d’intérêt en réponse à la hausse de l’inflation, aux sorties de capitaux et à la dépréciation de leurs monnaies.
De notre point de vue, il nous semble que les banques centrales doivent procéder avec prudence et que l’augmentation des taux d’intérêt doit se faire progressivement afin de ne pas nuire à la reprise de l’activité économique. Ce que nous devrons savoir dans cette crise c’est que le système monétaire international est conçu de manière à ce que certains pays subissent avec une marge de manœuvre réduite pour juguler les conséquences des crises, et les pays en voie de développement et principalement les pays africains en plus de devoir résoudre leurs problèmes économiques ils doivent gérer aujourd’hui les répercussions des politiques économiques initiées ailleurs.
Bibliographie
- Chicago Fed letters (August 2022). “What is driving U.S. inflation amid a global inflation surge?”
- Fonds Monétaire International (October2022). “Tackling Rising Inflation in Sub-Saharan Africa,”.
[1]Chicago Fedletters “What is driving U.S. inflation amid a global inflation surge? “August 2022, no. 470
[2]Fonds monétaire international. “Tackling Rising Inflation in Sub-Saharan Africa,” October 2022.
[3] Ibid.