La crise, c’est pour les autres

Par Fatym Layachi

Ramadan semble déjà bien loin. Les gandouras sont rangées. Les robes d’été sont sorties. Les envies de terrasses, de soleil et de cocktail ont repris. Zee te forwarde au moins trois mails par jour avec des adresses sympas sur plusieurs îles méditerranéennes.

On est encore au printemps. Il n’y a pas eu d’hirondelle mais la frénésie de l’été commence bel et bien à s’emparer de tout le monde autour de toi. Ça envisage la plage, ça parle vacances au soleil, régimes pour raffermir, cure de vitamines pour préparer sa peau au bronzage. Ça parle maison à la plage, réservation d’hôtels instagramables. C’est léger, c’est joyeux.

Toi, tu as beau vivre dans un aquarium doré, tu as tout de même un peu de mal à comprendre comment en mai on peut déjà commencer à penser aux grandes vacances. On sort quand même d’un mois où collectivement nous n’avons pas été d’une productivité folle. En vrai, tu as surtout du mal à comprendre que des adultes continuent sérieusement de parler de grandes vacances, comme s’ils étaient en CM1. Et que ces mêmes adultes prennent vraiment de grandes vacances. Pendant deux mois. Comme s’ils étaient en CM1.

Sauf que les mecs ne sont pas du tout à l’école primaire. Et surtout, les mecs n’ont pas – mais alors pas du tout – un train de vie de gamins de CM1. Les mecs passent deux mois à faire la fête, à bronzer, à sortir, à consommer en fait. Le tout sans aucune pression apparente, sans aucun stress visible, dans une décontraction qui semble absolue. Le mois de mai n’est même pas encore vraiment entamé et les mecs sont déjà à se projeter dans un été qui n’a pas encore commencé mais qu’ils imaginent sans peine ensoleillé et festif.

C’est la crise partout sur la planète, des manifestations contre la vie chère sont organisées très régulièrement dans plusieurs villes du pays. L’inflation fait des ravages. Les prix flambent. Les fins de mois sont de plus en plus compliquées. Une immense partie de la population galère, et pas uniquement à la fin du mois. Une immense partie de la population galère pour se loger, pour scolariser les gosses, soigner les parents. Mais il y a des gens qui ne semblent absolument pas concernés par ces contingences bassement matérielles.

Et autour de toi, il y en a un paquet. Un paquet de gens qui ne semblent absolument pas affectés par les petites, ni même les grandes crises. Un paquet de gens dont le mode de vie ne change pas, dont le mode de vie ne changera pas. Alors bien évidemment que ça ne te choque pas, au contraire. Tu trouves ça normal. C’est un peu la norme autour de toi. Mais tu ne peux pas t’empêcher de te dire que c’est tout de même un peu étonnant. Tu te demandes si c’est partout pareil. Ou si ce n’est que dans le plus beau pays du monde qu’il y a des bulles totalement hermétiques aux fluctuations.

« Tu vis clairement au-dessus de tes moyens. C’est la norme autour de toi”

Fatym Layachi

En fait, à bien y réfléchir, ce n’est pas tant que des gens vivent dans des bulles qui t’interroge. Tu as plutôt l’impression que, dans le plus beau pays du monde, il n’y a pas forcément de corrélation entre ce qu’on est censé gagner et ce qu’on dépense. Techniquement, ou plutôt mathématiquement, tu n’as pas les moyens de vivre dans l’appart dans lequel tu vis. Si tu devais appliquer une règle de proportionnalité à ton salaire et ton loyer, tu es à peu près sûre que tes résultats ne seraient pas exactement recommandables.

Et tu ne parles même pas de ta montre, de tes fringues, de tes sorties, de tes voyages. Tu vis clairement au-dessus de ce que sont censés être tes moyens. Mais ce n’est pas très grave. Tu t’en fiches en fait. C’est la norme autour de toi. Il n’y a pas vraiment de lien entre ce que tu gagnes en salaire, ce que tu déclares aux impôts, ce que tu dépenses souvent à crédit et ce que tu possèdes pour de vrai.