Santé publique : suicides, abus de pouvoir, harcèlement moral... Les médecins lancent un SOS

Dans le milieu hospitalier, dénoncer les abus d’un supérieur, c’est courir le risque de voir sa carrière stagner en représailles. Mais depuis le suicide d’un médecin interne du CHU Ibn Rochd de Casablanca, la jeune garde est de plus en plus convaincue de la nécessité de lever le voile sur un management toxique qui gangrène l’hôpital. Enquête.

Par et

TELQUEL

L’onde de choc de la nouvelle du suicide de Yassine Rachid, médecin résident au service d’urologie du Centre Hospitalier Universitaire Ibn Rochd de Casablanca, n’a pas tardé à se faire sentir dans l’ensemble de la profession médicale.

À en croire ses collègues, le jeune médecin était “harcelé quotidiennement par un membre de sa hiérarchie au sein de l’hôpital. Depuis l’annonce du décès, les langues se délient et la parole se libère dans le milieu médical, particulièrement parmi la nouvelle garde de médecins, pour dénoncer tout haut ce que tout le monde répète tout bas : le harcèlement est une réalité et les harceleurs agissent en toute impunité.

Les associations représentant les étudiants en médecine ont été les premières à réagir au suicide du Dr Rachid, survenu le 25 août dernier. “Nous condamnons le silence terrible des responsables et la non-publication des résultats de l’enquête sur cette tragédie, et réitérons notre soutien ferme à la famille et aux amis du défunt”, ont dénoncé dans un communiqué conjoint la Commission nationale des médecins internes et résidents (CNIR) et la Commission nationale des étudiants en médecine, médecine dentaire et pharmacie (CNEMEP), publié le 5 septembre.

D’après les deux organisations, Yassine Rachid avait quitté le Maroc “pour se spécialiser à l’étranger et échapper ainsi à la pression et aux insultes quotidiennes, qui n’ont rien à voir avec la formation médicale et ne correspondent pas aux normes pédagogiques et humaines qui doivent être adoptées à toutes les étapes des études médicales et chirurgicales”. Le communiqué fait état de “pratiques intimidantes et provocatrices” que subissent les jeunes médecins sur leurs “lieux de travail et de formation”.

Damage control

Le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baïtas, a annoncé le 8 septembre le lancement d’une “procédure judiciaire pour faire toute la lumière sur les causes de ce drame”. Baïtas a également affirmé que l’enquête interne menée au CHU Ibn Rochd avait conclu que les états de service du Dr Rachid étaient “irréprochables”.

Le professeur-assistant que l’entourage du défunt accuse de harcèlement, lui, ne traîne pas d’antécédents disciplinaires, d’après l’investigation du ministère de la Santé. Du côté de la corporation, l’heure est au damage control.

C’est une affaire qui a pris trop d’ampleur. Ne se suicide pas qui veut, il faut un terrain prédisposé, la dépression est une maladie multi-factorielle. Il y a eu deux ou trois cas de suicide ces dernières années, dans lesquels la pression du travail n’était qu’un co-facteur. Le burn-out ne mène pas au suicide. C’est beaucoup plus complexe que de simples facteurs exogènes”, soutient Nadia Ismaïli, enseignante à la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat et vice-présidente du Conseil national de l’ordre des médecins du Maroc (CNOM).

Des chefs tout-puissants

À l’hôpital, les abus auxquels sont exposés les jeunes médecins sont multiples. “Cela va de la petite phrase humiliante, l’attaque verbale sur le physique jusqu’à l’interdiction de bloc opératoire, en passant par la surcharge de travail volontaire”, explique Hamza Karmane, membre du CNIR et doyen des médecins internes de Rabat. Lire la suite.

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