Se croire plus fort ou plus riche que la nature

Par Fatym Layachi

Tu ne sais pas si c’est l’odeur de chebakkia qui commence à se faire sentir, la météo orageuse ou le climat de tensions internationales, mais tu es pleine de nœuds. Du coup, ce week-end, tu le passes au vert comme on dit. C’est pas vraiment comme on dit, parce que dans les faits, il n’y a rien de très vert autour de toi.

C’est même plutôt lunaire comme paysage autour de toi. Tu passes le week-end chez la belle-sœur de Zee qui a un chalet à la montagne. Vous avez pris la route en fin de matinée en faisant l’école buissonnière l’après-midi. Les vendredis servent aussi à raccourcir les semaines. Vous êtes bien arrivées, le chalet est plein de charme.

Le frère de Zee a allumé un feu. Les bouteilles de blanc ont été mises au frais. Tu ranges les beaucoup trop de boîtes de pâtes dans les placards. De grandes fenêtres offrent des vues impressionnantes, la pression des jours précédents est déjà redescendue. C’est sublime. Sublime et tellement dépaysant pour toi, la citadine qui ne voit jamais plus loin que le mur de bougainvilliers au fond du jardin des parents.

Tu regardes la lumière qui fait briller les montagnes, les cimes enneigées, les villages en terre au loin et tu écoutes le silence. Et dans cette image de carte postale, tu sursautes en voyant une énorme maison en contrebas. Cette baraque est énorme. Ce n’est pas tant qu’elle soit grande. Tu as plutôt l’habitude des grandes baraques. Elle est démesurée. Elle est disproportionnée. Elle détruit l’harmonie de l’endroit.

“Tu peux même constater que la roche a été détruite pour cette construction. Comment cela a été possible ? Est-ce légal de détruire la montagne pour les caprices d’un particulier ?”

Fatym Layachi

Toutes les constructions alentour sont en pierres locales, celle-là a un revêtement probablement repéré dans un magazine déco. Tu peux même constater que la roche a été détruite pour cette construction. Comment cela a été possible ? Est-ce légal de détruire la montagne pour les caprices d’un particulier ? Il faut bien une autorisation pour construire quelque chose ? Il y a bien des gens dans un bureau, ou une commission qui se penche sur la cohérence globale d’une ville ? Quand on décide de construire une maison et qu’on fait dessiner des plans, tu supposes qu’il y a un organisme qui est chargé de valider ces dits plans.

Plein de questions, pas de réponse. Du coup, tu fais ce que tu fais quand tu ne sais pas grand-chose : tu demandes aux internets. Tu ne vas pas même relever le fait que la première réponse qui s’affiche sur le mode d’obtention d’un permis de construire dans le plus beau pays du monde ne te redirige pas vers un site étatique où trouver des réponses officielles. Tu penses que les autorités, les administrations et autres organismes officiels devraient faire un petit effort de référencement sur les internets. Mais bon, tu t’égares. Tu veux rester concentrée sur cette bâtisse qui choque ton regard et heurte ta conception même de ce que devrait être une ville.

Donc tu apprends que “le dossier de demande de permis de construire doit comporter une demande signée par le concepteur du projet, un certificat de propriété de la parcelle, accompagné d’un plan de situation, un plan délivré par l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie précisant les limites de la propriété”. Logique. Tu découvres même que l’État serait actuellement en train d’œuvrer à “asseoir les fondements d’une planification urbaine incitative et renouvelée visant à répondre aux nouveaux enjeux des territoires”.

Beau programme ! Tu reposes ton téléphone et tentes d’oublier ta petite colère de salon qui ne changera rien. Alors tu profites de l’instant présent. Le ciel prend des couleurs à peine croyables. Et puis d’un coup, il se met à neiger. C’est féerique. La nature va reprendre ses droits et la bâtisse sera une forme blanche qui se fond avec le reste. Le spectacle à la fenêtre est époustouflant de beauté. Ce pays est peut-être vraiment le plus beau du monde. A nous tous d’en prendre soin. De ne pas le ravager. De ne pas chercher à le dénaturer. A se croire plus fort ou plus riche que la nature.