La célébration cette année du 8 mars intervient dans un contexte marqué notamment par l’impact de la pandémie du Covid-19 et l’adoption du Nouveau modèle de développement. La pandémie a eu des effets déstabilisants sur la situation des femmes du fait de leur forte présence dans les secteurs “modernes” fortement touchés par la crise (industries exportatrices, hôtellerie et restauration, tourisme), et dans le secteur informel, mais également en raison de leur forte exposition au virus du fait de leur rôle de prestataires de soins.
Par ailleurs, des associations féministes ont relevé une augmentation des cas de violences faites aux femmes durant la période de confinement. Pourtant, rares sont les mesures prises par les autorités pour traiter les problèmes spécifiques auxquels ont eu à faire face beaucoup de femmes. Dans ces conditions, on devrait s’attendre à une dégradation de la situation socioéconomique des femmes et à une plus grande précarisation de leur statut.
Pour elles, rien de nouveau
La question se pose alors de savoir dans quelle mesure le Nouveau modèle de développement (NMD), dont la finalisation avait été retardée pour intégrer les nouvelles données résultant de la pandémie, a innové dans l’appréhension de la problématique de l’égalité des sexes et des droits des femmes.
“Il semble avoir échappé aux rédacteurs du NMD que les femmes ne sont pas une catégorie sociale”
La réponse à cette question ne peut malheureusement être positive, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord sur le plan de l’approche, on remarque que le prisme à travers lequel le NMD aborde la problématique est pour le moins étrange, les femmes étant perçues comme “une frange” de la population au même titre que les jeunes, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap !
Il semble avoir échappé aux rédacteurs du NMD que les femmes ne sont pas une frange ou une catégorie sociale, tout comme les hommes. Comme le rappelait Gisèle Halimi, “la femme est une moitié de l’humanité, l’homme en est une autre moitié et, à l’intérieur de ces deux moitiés de l’humanité, il y a toutes les catégories, les jeunes, les immigrés, les vieux, les handicapés, etc.”
Une telle approche tronquée de la place des femmes au sein de la société déteint d’ailleurs sur la place accordée à cette question stratégique et sociétale dans le NMD, qui ne dépasse pas les 2 pages sur 152. Plus fondamentalement, ce qui manque le plus en ce qui concerne l’approche, c’est la perspective transversale de genre (le gender mainstreaming consiste à intégrer systématiquement l’égalité de genre dans toutes les institutions, les programmes et les politiques de développement).
“Les valeurs d’égalité des sexes et de droits des femmes ne font pas partie du référentiel de base qui structure la vision et l’orientation du NMD”
À titre d’exemple, les valeurs d’égalité des sexes et de droits des femmes ne font pas partie du référentiel de base qui structure la vision et l’orientation du NMD. Cette défaillance constitue d’ailleurs une régression par rapport à l’ensemble des politiques publiques mises en œuvre par le Maroc qui consacrent la perspective genre en tant qu’outil d’analyse des discriminations entre les femmes et les hommes et comme moyen de planification pour répondre à leurs besoins spécifiques.
Marchandisation des travailleuses
À l’opposé de cette approche réductrice, les Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations unies, et que le Maroc s’est engagé à mettre en œuvre, consacrent l’objectif numéro 5 à l’égalité des sexes tout en veillant à intégrer une perspective genre au niveau des autres objectifs (pas de pauvreté, faim zéro, bonne santé et bien-être, éducation de qualité, etc.).
Quant aux recommandations, le NMD focalise l’essentiel de ses propositions sur le renforcement du capital humain en vue d’assurer l’autonomisation économique des femmes. Au-delà des critiques que l’on peut faire à la notion de “capital humain” qui consacre une vision utilitariste et marchande de l’éducation et de la formation, l’approche de l’autonomisation économique ne garantit nullement un meilleur avenir aux femmes, et ce, pour deux raisons principales.
D’abord, il n’est pas sûr que le niveau de qualification que pourrait acquérir une jeune femme soit suffisant pour garantir un niveau de vie décent, dans la mesure où la Vision stratégique 2015-2030 pour l’éducation et la formation n’assure la gratuité que pour l’enseignement public obligatoire (enseignement primaire et collégial).
Ensuite, l’intégration des femmes dans les chaînes de valeur globalisées que le rapport sur le NMD appelle de ses vœux risque de consolider les conditions de travail précaires et instables induites par exemple par les activités de sous-traitance (zone franche de Tanger, à titre d’exemple), ou encore dans l’agro-industrie (chaîne de valeur des fruits rouges dans le Loukkos et le Gharb).
Un statut juridique désuet
Sur un plan plus général, on se rend compte qu’il est difficile d’assurer l’autonomisation des femmes sans toucher aux normes sociales, légales, politiques, institutionnelles et culturelles qui consacrent et perpétuent les rapports sociaux de pouvoir existants (notamment la famille, l’État, le marché, l’éducation, les médias, etc.). Or, de ce point de vue, le moins que l’on puisse dire est que le NMD fait preuve de frilosité.
“Le NMD se contente de recommander de mettre en place des espaces de débat socio-théologique sur ‘les questions qui fâchent’ tout en faisant la part belle à ‘la spécificité culturelle et religieuse’”
Ainsi, alors que le statut juridique des femmes marocaines a besoin de réformes de fond, le NMD se contente de recommander de mettre en place des espaces de débat socio-théologique sur “les questions qui fâchent” (mariage des filles en dessous de l’âge légal, héritage, interruption volontaire de grossesse, etc.) tout en faisant la part belle à “la spécificité culturelle et religieuse” comme l’a relevé pertinemment l’Association démocratique des femmes du Maroc dans son communiqué sur le NMD.
Il est par exemple navrant de constater que le NMD propose simplement de “préciser et limiter le pouvoir donné aux juges concernant les dérogations au mariage des mineures” au moment où plusieurs dizaines de milliers de mineures sont carrément forcées à se marier chaque année et que ce fléau ne cesse de se répandre, notamment en milieu rural.
Pour finir, il s’avère qu’aussi bien l’approche que les recommandations du NMD en matière d’égalité des sexes sont loin de répondre aux demandes réelles des femmes en faveur d’un changement radical des lois, des politiques et des pratiques. En d’autres termes, l’égalité des sexes et l’émancipation (et non l’autonomisation) des femmes passent nécessairement par une transformation radicale des structures économiques, politiques, légales, culturelles et sociales qui perpétuent leur dévalorisation.