Idir Ouguindi : “Nous attendons du gouvernement une rupture avec les approches de charité vis-à-vis du handicap”

Par Idir Ouguindi

Alors que le nouveau gouvernement devrait être dévoilé dans les prochains jours, les Marocains ont beaucoup d’attentes, notamment celles liées à la santé économique du pays, mais aussi à la création d’emploi, l’amélioration des conditions de vie, la lutte contre les disparités sociales, les solutions pour la classe moyenne acculée.

Idir Ouguindi est militant associatif, défenseur des droits des Personnes en situation de handicap (PSH), et expert en développement inclusif.

La plus grande crainte des Personnes en situation de handicap (PSH) et de leurs familles est que le handicap soit encore une fois le maillon faible de ce nouveau gouvernement, que le fossé se creuse encore et que les (PSH) continuent d’être victimes de nombreuses discriminations liées à leur condition.

Pour cette partie des Marocaines et Marocains, la situation est non seulement déplorable, mais elle joue un rôle important dans la persistance de barrières culturelles, sociales et économiques. Cela complique davantage la participation sociale de cette tranche de la société, notamment en matière d’accès à l’emploi, à la santé et à l’éducation.

Les personnes en situation de handicap au Maroc souffrent d’une double exclusion : celle liée à une altération définitive de l’identité sociale, et celle liée à la pauvreté. La représentation psychosociale des personnes handicapées détermine en grande partie la marginalisation de cette population, et cette exclusion se manifeste à plusieurs niveaux :

  • 66,1 % des personnes en situation de handicap sont non scolarisées, dont 66,6 % sont des filles, 50,6 % dans le milieu urbain, 49,4 % dans le milieu rural.
  • Le taux de chômage des personnes handicapées est six fois plus élevé que celui des non-handicapés.
  • Le handicap représente souvent un coût élevé pour les foyers. Pour autant, celui-ci est rarement considéré comme tel et ne fait pas l’objet d’une aide spécifique. Pire, cette marginalisation devrait s’accentuer si encore une fois les PSH restent en marge de toute politique de développement.
  • Selon le CESE, plus d’une personne sur cinq n’a jamais fréquenté une institution sanitaire, les difficultés d’accès aux soins généraux sont justifiées par le manque de moyens financiers (80 %), l’éloignement géographique (25 %), l’image négative des services de santé (21 %) et le manque de moyens de ces services (18 %).

À ce titre, les programmes des partis politiques lors des élections de septembre ont retenu l’attention des PSH et de leurs familles, mais c’est surtout le programme du futur gouvernement qui sera accueilli avec beaucoup d’attention et vraisemblablement beaucoup trop d’attentes de la part des deux millions de PSH et de leurs familles.

“Notre souhait est de savoir si enfin nous serons considérés comme des citoyens à part entière, quelle que soit notre condition sociale, économique, géographique ou autre”

Idir Ouguindi

Notre souhait est de savoir si, enfin, nous serons considérés comme des citoyens à part entière, quelle que soit notre condition sociale, économique, géographique ou autre. 
Le chef de gouvernement et son équipe devraient ratisser large et collecter le maximum d’idées ou de doléances.

Pas de société sans inclusion

Le succès de l’exécutif résidera dans le fait de faire du développement inclusif un paradigme en termes de droits humains, mais dépendra aussi de sa détermination à ouvrir les projets et les programmes aux personnes handicapées. Le développement inclusif s’inspire du concept de “société pour tous” qui donne à chacun la possibilité d’exploiter ses potentiels, et par conséquent de contribuer au bien-être général tout en participant à la vie de sa communauté.

Des études montrent que le handicap aggrave les risques de pauvreté en réduisant les possibilités d’accès à l’éducation, à l’emploi et à la santé.

Lorsque nous garantissons les droits des personnes en situation de handicap, nous nous rapprochons des valeurs et des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, nous respectons nos engagements internationaux édictés par à la Convention de l’ONU sur les droits humains, adoptée le 13 décembre 2006, signée par le Maroc le 30 mars 2007 et ratifiée le 8 avril 2009, notamment son 32e article qui exige la mise en place de politiques inclusives de développement. Nous respectons également le préambule de notre Constitution de 2011 et notamment son article 34 (“Les pouvoirs publics élaborent et mettent en oeuvre des politiques destinées aux personnes et aux catégories à besoins spécifiques”, ndlr).

La stratégie des Nations unies pour l’inclusion du handicap nous offre une base pour favoriser l’accomplissement de progrès durables et de transformations dans la prise en compte de la question du handicap.

Pour une stratégie nationale

Je pense que le futur gouvernement doit veiller à la mise en place d’une stratégie nationale globale et intégrée relative au handicap, à partir d’une approche fondée sur le droit, avec la participation de toutes les parties prenantes, pour mettre en œuvre les engagements conventionnels et les obligations constitutionnelles du Maroc. Le plus important pour les PSH est de voir une effectivité de leurs droits sur le terrain.

“Le handicap ne peut plus constituer un motif justifiant le manque d’accès aux programmes de développement ou le non-respect des droits des personnes”

Idir Ouguindi

Des études montrent que le handicap aggrave les risques de pauvreté en réduisant les possibilités d’accès à l’éducation, à l’emploi et à la santé. Le handicap ne peut plus constituer un motif ou un critère justifiant le manque d’accès aux programmes de développement ou le non-respect des droits des personnes.

La communauté internationale s’accorde généralement à dire que le développement inclusif exige une approche sur deux fronts : il faut d’une part garantir la prise en compte inclusive des personnes handicapées dans tous les grands projets et programmes de développement ; et d’autre part, continuer à encourager les mesures destinées à “autonomiser” les personnes en situation du handicap, c’est-à-dire leur donnant les moyens à la fois de représenter leurs intérêts de manière responsable et autonome, et d’être intégrées dans les programmes généraux.

Feuille de route

En bref, compte tenu de notre situation sociale et économique qui nécessitera encore beaucoup d’efforts, de notre quotidien qui est un véritable parcours du combattant, et de nos préoccupations en tant qu’acteurs associatifs de défense des droits humains, nous nous interrogeons sur la vision et les approches qui prévaudront pour le nouveau gouvernement.

à lire aussi

Nous attendons du gouvernement une rupture avec les approches de charité et médicales vis-à-vis du handicap et des personnes en situation de handicap. Nous espérons que les politiques, stratégies et programmes seront tout simplement inclusifs. Pour cela, nous souhaitons la prise en compte des axes et éléments suivants :

  • Assurer la mise en œuvre intégrale de l’accessibilité et la rendre obligatoire pour tous les anciens et les nouveaux bâtiments destinés à recevoir du public, ainsi que pour les moyens de transport, de communication, y compris la mise à disposition d’une accessibilité numérique sur tous les sites des ministères et établissements publics, en prenant toutes les mesures et procédures, et la mise en place d’un mécanisme de suivi.
  • Permettre aux personnes en situation de handicap de bénéficier sans discrimination de tous les programmes de protection sociale, et de considérer le handicap comme l’un des risques nécessaires à la protection sociale.
  • Augmenter les dotations aux services alloués aux personnes handicapées dans le cadre du Fonds de protection sociale et de cohésion sociale, notamment le soutien à la scolarisation et à l’emploi, et revoir le cadre organisationnel du partenariat avec les associations de la société civile en la matière.
  • Adoption d’un abattement forfaitaire au titre de l’impôt sur le revenu pour les salariés et travailleurs en situation de handicap, dans le but d’alléger le coût élevé du handicap.
  • Encourager la culture de la vie autonome pour les personnes handicapées et mettre en place des mécanismes pour sa mise en œuvre dans le contexte marocain.
  • Soutenir le positionnement institutionnel et politique du secteur gouvernemental en charge du handicap, en le dotant des différents moyens humains, financiers et matériels nécessaires à un fonctionnement efficace, et en créant des directions régionales qui lui sont affiliées.
  • Achèvement du projet de mise en place d’un nouveau système d’évaluation du handicap au Maroc, tout en veillant au respect effectif de l’approche participative et des normes internationales pertinentes.
  • Créer un organe national indépendant chargé de surveiller et de suivre la mise en œuvre des droits des personnes handicapées, conformément à l’article 33 de la Convention internationale des droits des personnes handicapées et aux normes de Paris réglementant le travail des institutions nationales des droits de l’Homme.