Élections 2021 : jusqu’où ira le rapprochement PJD-PAM ?

Ennemis jurés depuis plus d’une dizaine d’années, le PJD de Saâd-Eddine El Othmani et le PAM d’Abdellatif Ouahbi semblent plus proches que jamais, à coups de communiqués conjoints et de mains tendues relayées dans la presse. Un prélude à une alliance post-électorale ? Éléments de réponse.

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L’espace d’une phrase distillée en conclusion de son entretien avec le journaliste arabophone Moustafa Elfanne, Abdellatif Ouahbi a remis au goût du jour l’éventuelle alliance entre le parti Authenticité et modernité (PAM) et le parti de la Justice et du développement (PJD).

“Aucun gouvernement ne pourra résister longtemps face à une alliance entre le PJD et le PAM dans l’opposition”

Abdellatif Ouahbi, SG du PAM

Celui qui préside aux destinées du parti du tracteur depuis février 2020 s’est dit prêt à se ranger dans l’opposition aux côtés du PJD, face à la possible victoire du Rassemblement national des indépendants (RNI), qu’il accuse ouvertement “d’inonder la scène politique avec de l’argent”. Et de menacer : “Aucun gouvernement ne pourra résister longtemps face à une alliance entre le PJD et le PAM dans l’opposition.

De là à voir les deux formations, jusque-là ennemies, allier leurs forces au lendemain des élections législatives du 8 septembre ?

Aucune ligne rouge

Il n’y a aucune alliance entre le PJD et le PAM, répond, laconique, le vice-secrétaire général du parti de la lampe, Mohamed Yatim. Les deux partis sont aujourd’hui en campagne électorale pour les scrutins du 8 septembre.

Pour l’ancien ministre de l’Emploi, les alliances du PJD “seront tributaires des résultats obtenus par le parti et les différentes formations politiques, au lendemain des résultats des élections”. Des éléments de langage que l’on retrouve également chez le leader de la formation à référentiel islamiste, Saâd-Eddine El Othmani. Dans un entretien accordé en juillet dernier à TelQuel, le chef du gouvernement sortant déclarait la position du PJD “ouverte à toutes les possibilités”. Même à une alliance avec le parti du tracteur, son principal opposant ?

“Le fait qu’il y ait ce rapprochement entre le PJD et le PAM est problématique, compte tenu du fait que le second a été créé justement pour affronter le premier”

Mustapha Sehimi, politologue

Le fait qu’il y ait ce rapprochement entre le PJD et le PAM est problématique, compte tenu du fait que le second a été créé justement pour affronter le premier”, résume le politologue Mustapha Sehimi. Dans une interview accordée à Hespress, Saâd-Eddine El Othmani ne dit pas autre chose : “Notre position à l’égard du PAM n’a pas changé.

Sauf que l’élection d’Abdellatif Ouahbi à la tête du PAM, en février 2020, semble changer la donne. Le nouvel ADN revendiqué par le leadership actuel a fait du PAM “un parti comme le reste des autres formations politiques, qui milite pour obtenir les premières places lors des prochains rendez-vous électoraux, sans toucher au droit des autres dans la participation politique”, comme l’expliquait Abdellatif Ouahbi, en mars 2021, dans les colonnes de TelQuel.

Un Conseil national du PAM, en février 2020. Pour El Othmani, Ouahbi “a admis que bâtir un parti sur la seule base de l’opposition à un autre parti était une ligne politique irrationnelle”.Crédit: AIC Press

Chez HespressEl Othmani confirme : “C’est le PAM qui avait déclaré, à sa création, que le PJD était une ligne rouge. Aujourd’hui, leur nouveau secrétaire général (Abdellatif Ouahbi, ndlr) a admis que bâtir un parti sur la seule base de l’opposition à un autre parti était une ligne politique irrationnelle. Il a voulu changer cela en affirmant qu’il est possible de s’allier à tous les partis politiques, c’est pour cela que nous nous sommes concertés (avec les dirigeants du PAM, ndlr)”.

“Un calcul provisoire et opportuniste”

Cette nouvelle proximité entre le PJD et le PAM, Mustapha Sehimi y voit un “double calcul” des deux principales forces politiques post-scrutin législatif de 2016. Une relation qu’il qualifie de “provisoire, transactionnelle et opportuniste”.

C’est que le PJD devrait faire face, au lendemain du 8 septembre, à un éventuel bloc dirigé par le RNI, relève l’éditorialiste : “Si cette majorité venait à être mise sur pied, elle n’accorderait aucune place au PJD, la vie politique de ces dernières années étant dominée par la concurrence entre le PJD d’un côté et le RNI et ses alliés de l’autre.

Conséquence : “Le PJD veut améliorer sa capacité de négociation, en disant au lendemain des élections, ‘je viens avec un allié, le PAM’”, poursuit Mustapha Sehimi. Autre calcul, mais tout aussi pragmatique du côté du PAM, à en croire le politologue : “Le parti du tracteur sait que la culture majoritaire en pointillés qui paraît se dessiner ne lui accordera pas non plus une place, du fait de l’opposition qu’il y a entre le PAM et le RNI.

Des calculs qui n’éludent pas pour autant la nouvelle relation, cordiale, entre deux partis que tout opposait depuis plus d’une dizaine d’années.

Signe de ce nouveau rapprochement : la réunion 5+5 tenue le 24 juillet au siège central du parti de la lampe à Rabat, entre le PJD et le PAM. Présidée par Saâd-Eddine El Othmani et Abdellatif Ouahbi, cette réunion de concertation, inédite jusque-là, a été sanctionnée par un communiqué conjoint qui annonce, notamment, la “volonté commune” des deux formations de “contribuer au succès des prochaines échéances électorales avec un esprit patriotique, et consolider le processus démocratique dans le royaume”.

“Le nouveau leadership du PAM a-t-il rompu ses relations avec l’autorité ? Nous n’avons toujours pas de réponse à cette question au sein du PJD”

Bilal Talidi, politologue

Un prélude à une alliance post-électorale ? “Je pense qu’il y a beaucoup de réserves au sein du PJD concernant le rapprochement avec le PAM, répond Bilal Talidi, politologue et membre du Conseil national du parti de la lampe. Plusieurs leaders du PJD pensent ainsi que le PAM n’a pas changé, qu’il est toujours lié à la raison de sa création, à savoir la perspective d’affronter les islamistes, et qu’il entretient encore les mêmes relations avec le pouvoir, mais avec plus de subtilité.”

De quoi semer le doute au sein de la formation dirigée par Saâd-Eddine El Othmani. À en croire Bilal Talidi, certains leaders du PJD “essaient tant bien que mal de normaliser les relations avec le PAM”. Or, poursuit-il, “le PJD a conditionné cette normalisation par une remise en question du PAM et sa transformation en un parti normal, comme les autres, en se détachant de l’agenda du pouvoir”.

Et au politologue de s’interroger : “Le nouveau leadership du PAM a-t-il rompu ses relations avec l’autorité ? Nous n’avons toujours pas de réponse à cette question au sein du PJD, sinon comment expliquer, entre autres exemples, la position du PAM en faveur de la réforme du quotient électoral (que le parti de la lampe juge antidémocratique, ndlr)”. Des réponses attendues au lendemain des scrutins du 8 septembre.