Sebta : sur Europe 1, Nasser Bourita blâme l’Espagne et cherche à rassurer l’Europe

Invité sur plusieurs médias audiovisuels français le 23 mai, Nasser Bourita a clairement pointé la responsabilité de l’Espagne dans les événements de Sebta survenus en début de semaine dernière, au point de parler de possible rupture si Madrid venait à exfiltrer Brahim Ghali. Mais sur les ondes de la radio privée française, le ministre des Affaires étrangères était davantage en mission : jouer l’apaisement avec l’Union européenne et faire valoir un son de cloche marocain des événements.

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Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères. Crédit: DR

C’est une parole publique, de vive voix et très attendue. Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, s’est exprimé sur les événements de Sebta, ce dimanche 23 mai au micro de la station de radio française Europe 1. Invité de l’émission “Europe Soir week-end”, le ministre est venu éclairer sur les positions du Maroc face aux accusations de “laxisme” lors de l’arrivée massive, dès le lundi 17 mai, de plusieurs milliers de migrants aux abords de l’enclave espagnole.

Il s’agit d’abord une crise migratoire née d’une crise politique entre deux partenaires. Une crise dont la responsabilité est espagnole”, a martelé le ministre des Affaires étrangères à plusieurs reprises. Plus tard dans la soirée, Nasser Bourita a été invité, en direct, sur les plateaux des chaînes d’informations en continu française, BFM et LCI où les mêmes messages ont été répétés. Et de camper sur les positions déroulées ces dernières semaines, depuis l’hospitalisation de Brahim Ghali, leader de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) : “C’est aujourd’hui à l’Espagne de trouver la solution à sa crise.” Calculée, la sortie médiatique vise pourtant plus loin.

“On ne peut pas manigancer le soir et demander le lendemain d’être loyal”

Dans le fond, Nasser Bourita a répété ce que sa diplomatie égrène ces derniers mois à ses interlocuteurs européens : le Maroc n’est pas le gendarme de l’Europe, mais son “partenaire”. “Le Maroc n’est pas obligé d’agir pour protéger l’Europe, ajoute le ministre. Le Maroc le fait en partenaire et un partenariat dispose de fondements réciproques, qui reposent sur une compréhension des intérêts des uns et des autres.”

Principalement visée : l’Espagne, régulièrement placée en porte-à-faux dans son propos. “On ne peut pas manigancer le soir contre son partenaire et lui demander le lendemain d’être loyal.” Clairement et sans détour, il explique ainsi que le Maroc n’a pas digéré l’admission du leader du Polisario dans un hôpital espagnol, fin avril, sans l’en aviser.

“Si l’Espagne pense que la crise sera résolue en exfiltrant le monsieur, c’est qu’elle cherche le pourrissement, l’aggravation de la crise, voire même la rupture”

Nasser Bourita

Pour lui, le gouvernement espagnol n’a “consulté” ni le Maroc avant de prendre une décision qui touche à “ses intérêts” ni l’Europe avant de “passer outre des normes Schengen pour accepter l’entrée, de manière frauduleuse, d’une personne (sic) recherchée par la justice espagnole”. Et d’ajouter : “Est-ce qu’il est normal dans un État de droit de falsifier un passeport, d’usurper une identité pour faire entrer quelqu’un dans le territoire européen ?

Des migrants s’entretiennent avec les gardes civils espagnols après avoir nagé vers l’enclave espagnole de Sebta depuis le Maroc voisin, le 17 mai 2021.Crédit: Antonio Sempere / AFP

Ainsi, il laisse entendre que Brahim Ghali — qui ne sera jamais nommé directement, un mantra du langage officiel de la diplomatie — doit répondre de ses actes devant la justice espagnole, notamment des accusations de torture. Et sans être directement interrogé, Nasser Bourita semblait tenir à asséner un dernier message : “Si l’Espagne pense que la crise sera résolue en exfiltrant le monsieur, c’est qu’elle cherche le pourrissement, l’aggravation de la crise, voire même la rupture.” Des propos on ne peut plus clairs.

Pas de crise entre le Maroc et l’Union européenne

Nasser Bourita est venu livrer un son de cloche résolument marocain de la lecture des événements. “Le bon voisinage n’est pas à sens unique”, a-t-il expliqué au micro de la journaliste Wendy Bouchard, un message également distillé aux agences de presse EFE et Europa Press lors de ses récentes prises de parole relayées.

“Le bon voisinage n’est pas à sens unique”

Nasser Bourita

C’est davantage en direction de la France ainsi que de l’Union européenne  (UE) que s’adresse sa communication sur les ondes de la radio privée française, ainsi que sur les chaînes d’information en continu, BFM TV et LCI. S’il explique qu’un problème de “confiance” et de “respect mutuel” est en cours avec son “partenaire direct” et voisin ibérique, le Maroc “fait la distinction” avec “des relations très bonnes avec l’Union européenne”. Ou du moins, non sans se reprendre, avec la “quasi-totalité des pays membres de l’UE”. Pour lui, l’opinion publique et médiatique cherche à “détourner le débat” et créer une crise entre le royaume et l’UE ; “ce qui n’existe pas”, affirme-t-il.

Depuis les événements du début de semaine dernière, nombreuses ont été les voix à pointer la responsabilité du Maroc dans l’afflux de migrants sur les frontières de Sebta. “Personne ne peut intimider ou faire chanter l’Union européenne (…) sur le thème migratoire”, avait particulièrement déclaré Bruxelles, mercredi, par la voix du vice-président de la Commission européenne Margaritis Schinas.

Pas d’inquiétude à l’Ouest

En France, c’était au journal Le Monde de se faire porte-voix des critiques à l’encontre du royaume. Dans un éditorial publié le vendredi 21 mai, le quotidien de référence français avait notamment appelé la France et l’UE à “sortir d’une certaine naïveté dans le regard porté sur le Maroc” : “Le moment est venu pour les Européens de signifier au Maroc que son crédit à l’étranger est entamé.”

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C’est certainement en réponse à l’influent quotidien généraliste que le ministre des Affaires étrangères a accordé ces poignées de minutes à l’emblématique station française — qui serait en cours de rachat par le groupe Vivendi, propriétaire des télévisions de Canal+ et du groupe de communication Havas, dirigé par l’homme d’affaires Vincent Bolloré. En France, le flux migratoire en Méditerranée occidentale reste bien moins abordé qu’en Espagne, à l’instar des développements autour du Sahara tant l’opinion publique y est moins sensibilisée.

Au cours des dernières années, l’Europe n’a jamais entendu parler de migration dans le front ouest de ses frontières”, a développé le ministre en référence à la route migratoire de Méditerranée occidentale. Et de poursuivre : “Ce n’est pas parce qu’il ne s’agit pas d’une voie empruntée par les réseaux de migration clandestine. C’est parce qu’un pays (le Maroc, ndlr) déploie ses forces de sécurité”, au nombre de 20.000 dans la région.

Il ne manque pas d’en faire la démonstration, en chiffres : durant quatre ans, a étayé d’emblée le ministre, le Maroc a démantelé 8000 cellules de trafic d’êtres humains, 14.000 tentatives de migration clandestine, dont 80 au niveau de Sebta. Une enclave dont il a tenu à préciser le statut, sans y être invité.

À une question sur le sort des migrants mineurs, Nasser Bourita tiendra à préciser que ce n’est ni le sujet ni le moment” d’aborder le statut de l’enclave et des positions marocaines à ce sujet. Une manière de faire passer certains messages ?