Un nouveau pacte pour la jeunesse marocaine, et tout de suite. C’est le souhait que caresse l’association Moustaqil. Mardi 20 avril, cette initiative conduite par des jeunes et pour des jeunes a présenté à la presse une batterie de nouvelles recommandations. Des mesures qu’elle a elle-même contribué à faire émerger. “Toutes ces actions ont été le fruit de près de trois années d’expérience tant de terrain, que de cellules d’écoute en direction des jeunes”, explique Omar Khyari, président de l’initiative.
Au total, ce sont près de quatorze actions réparties en quatre axes. L’idée de base des recommandations ? Permettre d’éviter un certain nombre d’obstacles que rencontre la jeunesse dans la recherche et l’accès à l’emploi. Pour l’association, cela passe par l’attribution d’une “carte jeune” aux 15-24 ans, leur conférant un statut propre. Le but est de favoriser la reconnaissance de leur situation particulière en leur offrant des services comme la gratuité des transports ou encore un pass pour l’accès à des activités culturelles et sportives, entre autres.
Un tiers des 15-24 ans dans le flou de l’inactivité
Cette carte, liée à un numéro de téléphone, permettrait de garantir aux jeunes un accès au marché de l’emploi, le cœur même du problème. “Nous nous sommes rendu compte qu’encore de nombreux jeunes pâtissaient de ce manque d’information concernant les offres d’emploi. C’est quand même incompréhensible en 2021”, appuie Omar Khyari. C’est que pour cette jeunesse, l’accès à l’emploi reste le plus grand écueil.
En 2019, un tiers des jeunes Marocains âgés de 15 à 24 ans n’étaient ni en éducation, ni en emploi, ni en formation. De ces jeunes, on dit qu’ils sont NEET, de l’acronyme anglais Not in Employment, Education or Training (en français : sans emploi, ne suivant ni études ni formation).
Ainsi, sur les six millions des 15-24 ans, ils étaient 1,9 million dans la zone floue de l’inactivité, d’après une étude sur “La situation des jeunes NEET au Maroc” présentée par l’Observatoire de développement humain en début d’année. D’après l’étude, les NEET sont majoritairement des femmes et ruraux.
Les chiffres sur cette tranche d’âge stagnent depuis près de dix ans. Et les lendemains ne prêtent pas non plus à l’optimisme, la crise sanitaire venant ajouter son lot de doutes sur une jeunesse dont l’avenir est promis à l’incertitude. D’autant que “beaucoup de jeunes se sont appauvris lors de la période de quarantaine (de mars à juin 2020, ndlr)”, souligne Mourad Elajouti, membre de l’initiative Moustaqil, qui préside également le Club des Avocats au Maroc.
Pour lui, les mois de confinement ont eu raison de “l’accès à des opportunités”, qui se sont envolées pour les jeunes. Et d’ajouter : “De plus, ceux qui avaient des contrats de travail spécifiques n’ont pas renouvelé leur contrat et ont perdu leur emploi.”
Prendre position
C’est aussi là tout le sens des recommandations formulées par Moustaqil. Elles sont en grande partie le résultat d’un travail d’étude, en partenariat avec l’ONDH-UNICEF, portant sur la situation qualitative des jeunes NEET. Depuis début 2020, cette enquête de terrain les a conduits à interroger près de 1500 jeunes répartis sur 24 lieux de vie dans six régions différentes. Durant leurs démarches, ils ont bénéficié également des expertises scientifiques de chercheurs reconnus dans le domaine de la jeunesse, tels que Khadija Zahi, Zakaria Kadiri ou encore David Goeury.
“Ce que nous cherchons absolument, c’est créer le débat, avec des jeunes qui se positionnent sur ces questions”
Ces entretiens se sont poursuivis après la période de confinement. “On en a tiré une masse importante de témoignages et d’échanges à bâtons rompus qui nous ont permis de mieux appréhender la situation des NEET et ce que pouvaient traverser les jeunes au Maroc, développe Omar Khyari. C’est ce qui a fait en sorte d’allumer un clignotant pour proposer ce pacte”. Notamment les jeunes NEET de milieux ruraux, auquel Moustaqil préconise, dans ses recommandations, de nouveaux curricula et le développement de nouvelles filières d’enseignement professionnel.
Et après ? Dans les prochains mois, les membres de l’initiative prévoient de faire le tour des ministères, des formations politiques et des structures associatives pour présenter et faire en sorte de porter les recommandations. Un passage obligé, mais pas vital. “Nous souhaitons porter ces recommandations nous-mêmes, mais ce que nous cherchons absolument, c’est créer le débat là-dessus, avec des jeunes qui se positionnent sur ces questions”, poursuit Omar Khyari. L’association compte investir ces questions sur le terrain des réseaux sociaux pour susciter le dialogue.
Numéro vert, observatoire et manque d’engagement
L’histoire de la graine qui grandit, c’est aussi celle de Moustaqil. Elle a pris racine dans un garage du quartier des Orangers à Rabat, en 2018, où quatre jeunes se sont emparés du sujet des NEET. Une question qui, forcément, leur parle, deux d’entre eux étant passés par cette situation. Progressivement, ils se lancent dans l’aide à d’autres jeunes et parviennent à perfectionner des actions d’accompagnement.
L’association revendique un taux d’insertion qu’elle estime à 52 %, avec 135 modules de formation qui ont déjà bénéficié à 1122 jeunes
Le programme se concentre sur des jeunes NEET âgés de 18 à 30 ans, encadrés par plus de 300 autres jeunes bénévoles. “Nous avons des encadrants qui se chargent de former, sur une matière ou un cursus, un petit groupe de jeunes, entre huit à vingt personnes maximum”, explique Omar Khyari au sujet d’une formule “qui n’a eu de cesse d’évoluer en fonction des différents cycles de formation”. Et de sourire : “À un certain moment, on a vu un afflux de jeunes qui désiraient y participer. C’est que notre travail a dû être jugé crédible par les autres jeunes.”
L’association revendique un taux d’insertion qu’elle estime à 52 %, mettant en place 135 modules de formation. Des cycles d’apprentissage courts qui ont déjà bénéficié à 1122 jeunes. Ces prochains mois, l’association compte lever un numéro vert, former des conseillers parmi ces bénévoles et favoriser un dialogue entre jeunes sur les situations de détresse sociale et problèmes professionnels.
Elle compte également créer un observatoire de la jeunesse, inexistant au Maroc, dont la mission sera de collecter et analyser les données statistiques, les rapports, les études scientifiques sur la jeunesse marocaine. “Nous, les jeunes, nous devons créer un consensus et lancer le débat sur nos problématiques”, répète Omar Khyari, qui pointe un manque “d’encadrement” : “Nous manquons d’organisations collectives capables de séduire les jeunes, d’abord, de leur faire réaliser des actions dans un cadre sain ensuite, pour les propulser enfin vers des choses d’un autre niveau de réflexion.”
Interrogé sur le désintérêt des jeunes pour la chose publique et politique, le président associatif rétorque : “Je ne pense pas que ce soit le cas. Il n’y a pas un problème d’intérêt, mais d’engagement, car il manque ces cadres sains. Aujourd’hui, les jeunes ne sont plus dans le collectif alors que notre projet de société en a davantage besoin. C’est ce que nous essayons de montrer, des jeunes qui entreprennent avec d’autres jeunes, quel que soit le niveau le diplôme.” En somme, l’âge de tous les possibles.