Pédagogie, sélection, recherche : les professeurs de l’école de gouvernance de l’UM6P dévoilent leur programme

Pour la prochaine rentrée universitaire, l’Université Mohammed VI polytechnique lancera la Faculté de gouvernance, des sciences économiques et sociales à Rabat. Entretien croisé avec Abdelmohssin El Mokaddem, enseignant-chercheur et directeur des études, chargé des programmes de Bachelor, et Dominique Guillo, enseignant-chercheur et vice-doyen en sciences comportementales pour les politiques publiques.

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Pour la prochaine rentrée universitaire, l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P) lance la Faculté de gouvernance, des sciences économiques et sociales (FGSES) à Rabat. Crédit: www.fgses-um6p.ma

TelQuel : Quelle est la différence entre la FGSES (Faculté de gouvernance, des sciences économiques et sociales de l’Université Mohammed VI polytechnique) et les autres filières de sciences humaines et sociales dans les universités marocaines? En quoi vous démarquez-vous de ce qui se fait ailleurs dans l’enseignement public?

Abdelmohssin El Mokaddem : Notre volonté n’est pas tant de nous démarquer que de chercher à offrir quelque chose de complémentaire à ce qui existe. Nous reprenons les fondements des disciplines classiques des sciences humaines et sociales, tout en ayant l’ambition de compléter le paysage académique en leur associant une nouvelle façon de faire, des méthodes pédagogiques innovantes comme le “learning by doing”, et de nouveaux contenus.

Dominique Guillo est enseignant-chercheur et directeur de l’African Center for Behavioral Sociology, vice-doyen en sciences comportementales pour les politiques publiques.

Dominique Guillo : Nous avons commencé par une phase de réflexion sur ce que devaient être les sciences humaines et sociales dans le monde d’aujourd’hui, dans l’optique particulière de traiter les thématiques importantes pour les politiques publiques. Ce fut notre point de départ. Nous avons examiné les nouveautés qui ont émergé dans le paysage académique international, en les adaptant à notre perspective, tournée vers les politiques publiques et le continent africain.

Votre référentiel est africain. Selon vous, qu’est-ce qu’une formation adaptée aux réalités du continent ?

A.E.M : L’une des orientations majeures de la faculté est de former des étudiants dotés de compétences qui leur permettent d’apporter une contribution aux questions de politiques publiques telles qu’elles se posent en Afrique. Or, ces questions ne se posent pas de la même manière, avec les mêmes contraintes ou les mêmes atouts, que dans d’autres régions du monde. Un certain nombre de politiques publiques échouent faute de tenir compte de ces spécificités dans le diagnostic des problèmes et l’élaboration des solutions. L’idée est donc d’adapter l’enseignement et la recherche aux réalités africaines, aux problèmes tels qu’ils se posent spécifiquement sur notre continent.

“Les difficultés surgissent lorsque l’on cherche à appliquer aux pays africains des résultats ou des solutions qui ont été élaborés pour d’autres contextes”

Dominique Guillo
Abdelmohssin El Mokaddem est enseignant-chercheur, directeur des études, chargé des programmes de Bachelor en économie de la conservation des ressources naturelles renouvelables, agro-économie et développement agricole.

D.G : Notre ambition n’est pas de rompre avec les savoirs ou les méthodes qui ont été développés initialement dans les pays dits du “nord”, ou de les regarder avec défiance. Pour le dire simplement, il n’y a pas de raison de douter de ce qui est solidement établi ni de se priver des outils puissants offerts aujourd’hui par la recherche scientifique, qui est en fait largement internationale et globalisée. Ce ne sont pas les outils qui sont en cause, mais l’usage que l’on peut en faire. Les difficultés surgissent lorsque l’on cherche à appliquer aux pays africains — qui ont leurs spécificités — des résultats ou des solutions qui ont été élaborés pour d’autres contextes.

Concrètement, comment cela se traduit ?

D.G : Par exemple, nous avons lancé dans un de nos centres de recherche un programme sur l’apprentissage de la lecture en arabe à l’école primaire au Maroc. Ce programme s’inscrit dans les recherches en plein essor en sciences cognitives depuis une vingtaine d’années sur la lecture, sur la manière dont le cerveau humain acquiert cette compétence. Toutefois, ces recherches portent encore très largement sur les langues européennes, qui posent des difficultés d’apprentissage très différentes de l’arabe, qui reste assez peu étudié de ce point de vue. Ces recherches ne peuvent donc être appliquées directement pour améliorer l’apprentissage de la lecture au Maroc. C’est en ce sens qu’il faut adapter localement les outils puissants qu’offre aujourd’hui la recherche dans ces disciplines.

Quels types de cadres ambitionnez-vous de former ?

A.E.M : Notre objectif est de former des étudiants autonomes dotés de compétences de pointe dans une des disciplines bien identifiées des sciences humaines et sociales — économie, science politique, relations internationales, sciences comportementales et sociales —, mais avec également une forte dimension pluridisciplinaire. Nous voulons former des personnes capables d’innover, de co-créer en expérimentant au sein d’un groupe, et d’éclairer les décideurs à partir de diagnostics solidement établis, toujours avec une perspective orientée vers le “Sud”. Il s’agit pour eux de comprendre et anticiper les enjeux géopolitiques internationaux, concevoir des modèles de développement économique et social pour le continent, et analyser les évolutions de la société.

Le mot est mal vu en ce moment, cependant, est-ce que vous formez des technocrates ?

A.E.M : La question ne se pose pas en ces termes. Notre objectif est de former des étudiants compétents, experts et épanouis. Pour cela, nous avons essayé de trouver un équilibre dans nos programmes entre plusieurs compétences, qui ne sont pas toujours développées conjointement dans les cursus d’enseignement. En particulier, nous avons tenu à proposer à la fois des cours approfondis dans les méthodes quantitatives et dans des disciplines plus qualitatives, comme la science politique, l’histoire ou la philosophie. Nous sommes convaincus qu’il faut associer ces apprentissages complémentaires, pour former des étudiants capables d’approfondir les aspects techniques, d’une part, mais aussi d’avoir un peu de recul sur ce qu’ils font, d’autre part, et de prendre des décisions dans des contextes complexes comme celui que nous vivons actuellement.

D.G : C’est en ce sens que les profils que nous souhaitons former sont des étudiants qui ont un sens du concret et du contexte,et qui sont conscients de leurs responsabilités quand ils prennent des décisions.

Quels sont les critères d’admission ?

A.E.M : La première année est ouverte à tous les profils, pourvu qu’ils soient excellents et possèdent un certain nombre de prérequis fondamentaux leur permettant de suivre les contenus de nos programmes d’enseignement. Pour donner quelques chiffres, la majorité des 4247 bacheliers qui se sont inscrits cette année au concours ont obtenu une mention très bien au bac. Nous opérons une sélection en trois phases : dossier, concours écrit — cette épreuve n’a pas pu être mise en place cette année, compte tenu du contexte sanitaire — et épreuve orale.

“La majorité des 4247 bacheliers qui se sont inscrits cette année au concours ont obtenu une mention très bien au bac”

Abdelmohssin El Mokaddem

D.G : Notre volonté est également d’intégrer toutes les régions du Maroc. Les élèves de certaines zones n’ont pas forcément accès à l’information. Nous avons donc mené des tournées dans les lycées, afin que tous les élèves qui le souhaitent puissent se présenter au concours. Nous ne voulions pas rater des étudiants capables d’apporter un point de vue original et intéressant aux politiques publiques en raison de leur vécu. L’idée n’est pas d’avoir une représentativité régionale uniquement pour des raisons de chiffres et de quotas, mais de rassembler des profils variés susceptibles d’enrichir le débat et la réflexion autour des politiques publiques.

Quelles sont les options de financement que vous proposez à vos étudiants ?

A.E.M : Nous offrons des bourses d’excellence octroyées sur la base des résultats académiques et des bourses de vie dont le montant varie selon la situation sociale de l’étudiant des familles.  À l’échelle de l’Université Mohammed VI Polytechnique dont dépend de la faculté. On compte près de 70 % d’étudiants boursiers, originaires de toutes les régions du Maroc, ainsi que d’autres pays africains, comme le Nigeria, le Rwanda, la Mauritanie, l’Ouganda, le Malawi, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, etc.

Votre établissement est-il comparable à Sciences Po en France ?

D.G : Sciences Po est un établissement d’excellence, avec lequel nous sommes partenaires à plusieurs niveaux, notamment à travers l’échange d’étudiants ou dans les relations tissées avec notre formation exécutive. Nous mettons en place avec eux un programme d’échange d’étudiants (BAMA) choisis parmi les meilleurs dans notre filière science politique. Bien entendu, chaque établissement a ses spécificités, liées, en ce qui nous concerne, à notre ancrage africain, à nos programmes ou encore aux champs disciplinaires que nous couvrons. C’est ce qui fait aussi la richesse et l’intérêt mutuel de ce type de partenariat.

Quelle est la différence entre l’EGE et la FGSES ?

A.E.M : Le projet de l’EGE se poursuit au sein de la FGSES. L’objectif et l’esprit général étant d’apporter une contribution renouvelée aux politiques publiques sur le continent, en formant des cadres de haut niveau, innovants et dotés de compétences adaptées au monde d’aujourd’hui. Nos étudiants actuellement en 2e et 3e année de licence sont d’ailleurs des étudiants qui ont commencé leur parcours au sein de l’EGE.

Ne craignez-vous pas que ces profils nous échappent en intégrant des structures internationales ?

A.E.M : Il est sans doute trop tôt pour le dire et nous verrons ce qu’il adviendra. Nous avons toutefois de bonnes raisons de penser que l’orientation “politiques publiques” de la Faculté attirera des étudiants qui auront à cœur de participer au développement du Maroc et de l’Afrique. On peut aussi faire valoir qu’il est intéressant de former des étudiants dont une partie va porter dans les pays du Nord la perspective vue du Sud que nous essayons de développer dans la Faculté. Ces étudiants pourront également revenir ensuite, porteur d’une expérience enrichie par leur parcours international.

Pensez-vous que vos étudiants auront l’ambition d’intégrer la fonction publique ?

A.E.M : Les formations que nous proposons sont bâties de manière à susciter l’intérêt d’étudiants qui veulent œuvrer pour le bien commun et qui ont la passion des politiques publiques. L’objectif est de donner à ces étudiants une formation qui permette de réaliser cette ambition, partagée par beaucoup de lycéens excellents, comme l’atteste le profil des étudiants que nous avons recrutés dans nos concours depuis deux ans.

D.G : Il existe un important vivier de jeunes qui ont envie de travailler pour la collectivité, et qui le font d’ailleurs activement pour certains d’entre eux dans leur temps extrascolaire. Puisés dans ce vivier, les profils qui sortiront de nos formations pourront ainsi venir irriguer les secteurs publics et privés à différents niveaux. Une jeune femme ou un jeune homme qui a eu une licence de la FGSES pourrait ainsi travailler dans une administration, mais aussi au niveau de sa commune. Elle ou il sera en mesure de contribuer à rationaliser le travail au sein des collectivités territoriales. Ce qui répond également à votre question précédente : ces étudiants pourront trouver sur le terrain national des débouchés qui correspondent à leur vocation, qui est de servir l’intérêt général, que ce soit au niveau local, régional ou national.

Quel est le mode d’apprentissage que vous privilégiez ?

A.E.M : Nous avons opté pour une pédagogie qui place l’étudiant au cœur du processus d’apprentissage, à travers le système de la classe inversée. Dans cette philosophie pédagogique, l’enseignant accompagne l’étudiant de manière à ce que celui-ci devienne un acteur autonome et responsable de son propre apprentissage.

“Nous avons opté pour une pédagogie qui place l’étudiant au cœur du processus d’apprentissage, à travers le système de la classe inversée”

Abdelmohssin El Mokaddem

D.G : Concrètement, cela signifie, par exemple, qu’avant chaque séance d’un cours, l’étudiant reçoit tous les contenus qui y seront abordés. Il travaille donc les contenus avant la séance, de sorte que, pendant le cours, l’activité du professeur consiste à clarifier avec les étudiants les points complexes ou qui sont demeurés incompris. Plus largement, l’enseignant se rend disponible pour encadrer continûment et à travers des dispositifs pédagogiques variés et innovants les travaux qu’il demande aux étudiants.

Y a-t-il une volonté de se réapproprier sa propre culture ? Les pays du sud ont longtemps été étudiés par le nord.

D.G : Ce n’est pas une question de culture, si l’on entend par là des visions du monde qui seraient différentes, voire irréductibles. Les pays du Nord ont leurs propres questions, qui tiennent aux spécificités de leurs sociétés. Les réponses qu’ils formulent pour les questions qui leur sont propres ne valent pas nécessairement pour les pays du sud en matière de politique publique. Il n’y a donc pas d’opposition sur ce point, en particulier dans les outils utilisés pour établir solidement les diagnostics ou pour formuler les solutions : il y a des différences dans les problèmes qui se posent, dans les contraintes et les atouts de chaque grande aire géographique, et donc dans les réponses qui peuvent convenir à chacune.

A.E.M : Avec une telle perspective, la recherche menée sur le continent permettra de mieux connaître ce dernier. Ce qui manque, ce sont d’abord des données précises, qui permettent de faire des diagnostics adaptés.

D.G : Pour le dire de manière plus générale, la perspective développée à la Faculté est celle d’un Sud ouvert, qui a ses propres questions, qui cherche ses propres solutions et qui n’est plus en tension avec un Nord. Un Sud serein et lucide dans la réflexion qu’il mène à la fois sur les questions qui lui sont propres et sur celles qui se posent au monde globalisé d’aujourd’hui.