Les vendredis 13 sortent décidément du commun. Celui de mars 2020, en particulier, marque un véritable tournant. Ce jour-là, à l’heure du déjeuner et de l’appel à la prière, un communiqué laconique de la MAP annonçait “la suspension des liaisons aériennes et maritimes” entre le Maroc et la France, l’Espagne et l’Algérie. Le lendemain, un communiqué du ministère des Affaires étrangères étendait cette suspension à quatre autres pays: l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et le Portugal. La temporalité ne souffre aucune ambiguïté: “jusqu’à nouvel ordre”.
En verrouillant les entrées et sorties, les autorités marocaines ont voulu réagir avant qu’il ne soit trop tard. Une mesure prise face à la propagation du Covid-19 en Europe, où on peine à faire face à un pic à venir, contraignant plusieurs gouvernements à des choix drastiques. Tout au long de la semaine, les pouvoirs publics ont cherché à prendre les devants.
Les bilans réguliers et communiqués officiels se succèdent, les ministres multiplient les sorties médiatiques et les principaux acteurs nationaux répondent présents. Tous en ordre de bataille pour organiser une riposte sanitaire, économique et sociale. Suffisant pour combattre un coronavirus déjà en circulation chez nous?
Des courbes exponentielles partout
Sur le point de passer au deuxième stade de l’épidémie depuis l’apparition de contaminations locales, le Maroc continue d’informer l’opinion publique au quotidien sur les cas recensés. A l’heure où nous mettons sous presse, le ministère de la santé arrêtait les chiffres à 61 cas et 2 décès, contre 7 cas et 1 décès une semaine plus tôt. Des chiffres en hausse exponentielle.
“Si nous avions commencé à gérer la situation une fois envahis par le Covid-19, imaginez la catastrophe. Car les gens se serrent au lieu de s’espacer”
Parmi les mesures prises par l’Exécutif, la fermeture en début de semaine des établissements non indispensables sur ordre du ministère de l’Intérieur. Sont concernés les cafés, restaurants, bars, cinémas ou encore les hammams. Les mosquées n’ont pas tardé à suivre. “Si nous avions commencé à gérer la situation une fois envahis par le Covid-19, imaginez la catastrophe. Car les gens se serrent au lieu de s’espacer. Il s’agit maintenant de mettre en place des mesures extrêmement rigoureuses, contraignantes mais nécessaires”, salue le professeur Kamal Marhoum El Filali, chef de service des maladies infectieuses au CHU Ibn Rochd de Casablanca.
Au gré de l’avancée de la pandémie, la batterie de mesures s’étend. “Si l’action des autorités a été active et réactive, c’est parce que le Maroc a gagné de l’expérience des pays qui nous sont mitoyens et avec lesquels on entretient des correspondances, ainsi que différents flux”, souligne Soraya Kettani, présidente de Fomagov (Fondation marocaine pour la bonne gouvernance). Pour elle, l’Exécutif a rapidement été “alerté par la nécessité de livrer une action urgente”, au vu de l’ampleur de la propagation dans les pays européens.
Vendredi 13 mars, dans la foulée de la fermeture des crèches et établissements scolaires et universitaires, le ministère de l’Éducation nationale annonçait que les cours seraient suivis à distance dès lundi 16 mars. Mercredi 18 mars à la mi-journée, les autorités publiques appelaient également les citoyens à “limiter leurs déplacements” et à se “conformer à l’isolement sanitaire” comme mesure préventive pour circonscrire la propagation du virus.
Au plus haut sommet de l’État, on dit le roi très attentif à l’évolution de la situation. Des briefs quotidiens sont demandés par Mohammed VI, faisant “l’objet d’un monitoring très serré de la part du Palais”, nous apprend une source proche du dossier.
Le roi a par ailleurs ordonné la création, le 15 mars, d’un fonds spécial dédié à la gestion de la pandémie. Immédiatement, “l’effort de guerre” a été suivi par des promesses de dons provenant de grandes fortunes et principales entreprises publiques et privées, dépassant les 26 milliards de dirhams à l’heure où nous mettions sous presse.
Trop rassurant, peu directif
À la tête de ce plan d’action, le ministère de l’Intérieur se distingue. Depuis la fin de la semaine dernière, les différents départements sont sur le qui-vive. Une action et une synergie communes des forces, chapeautées par Abdelouafi Laftit. “Tout se fait sous son impulsion”, explique une source en off dans l’entourage du gouvernement.
Le 14 mars au soir, le Chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, est apparu pour rassurer l’opinion publique, lors d’une interview diffusée sur les trois chaînes nationales, Al Aoula, 2M et Médi1 TV. Le but de son intervention? Pérenniser l’action et les dispositions prises par le gouvernement pour contenir la pandémie, comme l’aménagement de 1220 lits d’hôpitaux pour l’accueil de cas positifs au Covid-19, dont 250 lits réservés à la réanimation. “Les citoyens doivent avoir confiance en leur gouvernement”, a-t-il assuré. Entre-temps, d’autres ministres se sont succédé sur les plateaux télé, adoptant le même ton rassurant, à l’instar du ministre du Commerce et de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy: “Nous avons de l’approvisionnement pour plus de quatre mois (…) il n’y a aucune raison de paniquer”.
“Je n’ai jamais vu une communication aussi bien organisée de la part du gouvernement, relève notre source, dans les coulisses de cette gestion. Tous les membres de l’Exécutif ont décidé de mettre leurs querelles politiques de côté.” Pour Rajaa Kantaoui, experte en gestion des crises institutionnelles et en communication des industries sensibles, “la planche de salut passera inéluctablement par la sensibilisation au risque encouru et à la promotion de l’information juste et réelle”.
Et sur le terrain de l’incidence, des progrès restent encore à réaliser. Si les injonctions sont là, nous en sommes encore au stade de “l’information et non de la communication”, constate Soraya Kettani. “La communication, c’est lorsqu’on est en phase avec une réactivité du citoyen, qui va valider le résultat que nous sommes attendus d’avoir”, nuance la présidente de Fomagov.
“En tant qu’État, il faut transmettre cette notion “d’heure grave” pour que l’ensemble des concitoyens soit bien conscients du danger et des risques encourus”
Exemple type : les aéroports. Après la suspension des vols, des milliers de personnes, touristes ou non, se sont ruées vers un seul et même lieu, symbole pourtant de foyer de contamination extensif. “Ce sur quoi les autorités communiquent doit pouvoir être maîtrisé. Ça n’a pas été le cas”, déplore Soraya Kettani. La faute, justement, à une attitude trop rassurante? “Il faut l’être sur les mesures prises et sur leur efficacité, note Mouna Yaqoubi, fondatrice et directrice de l’agence de communication Arietis. Mais dans certaines prises de parole, il y avait des postures et une attitude trop rassurantes. En tant qu’État, il faut transmettre cette notion “d’heure grave” pour que l’ensemble des concitoyens soit bien conscients du danger et des risques encourus”.
S’adapter à une économie de la débrouille
En somme, se montrer plus directif. Mais pas seulement. “Le gouvernement est très proactif et fait les choses comme il faut, mais il y a tout de même un souci pédagogique plus important à avoir”, considère le sociologue Mehdi Alioua, spécialiste des populations précaires. Lui préconise davantage de darija, voire de tamazight, car compris par le plus grand nombre.
À suivre les mesures prises en Europe, certes indispensables, rien n’indique que celles-ci soient aussi efficaces dans un contexte marocain. De nouvelles logiques d’adaptation s’imposent aussi pour un pays où une grande partie de la population vit au jour le jour, gagne sa vie “grâce à une économie de la débrouille et de la circulation”, selon Mehdi Alioua. “Nous ne sommes qu’à 22% de salariés au Maroc, ce qui n’est rien et ne représente qu’une petite partie de la population, argumente-t-il. Tout le monde n’est pas en situation de pauvreté, mais si on est classés 132e au PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), c’est que l’on a tout de même un énorme problème de développement humain”.
Si certaines mesures ont été prises pour encourager autant que possible les citoyens à rester chez eux ou les protéger lors de leurs déplacements, certaines décisions peuvent sembler inadaptées à une partie de la population. C’est le cas pour Mina, 58 ans. Cette femme de ménage, seule à subvenir aux besoins de sa famille, continue de se déplacer une fois par jour chez ses employeurs.
Pour Mina, femme de ménage de 58 ans, le confinement prôné par les autorités est une mesure qu’elle ne peut pas se permettre
Condamnée à la promiscuité, elle est contrainte, quotidiennement, de prendre des bus ou des grands taxis — dont le nombre de passagers a été réduit, pour lutter contre la propagation du coronavirus, à 3 au lieu de 6. Cette semaine, pour aller travailler, elle a pris un grand taxi qui n’a pas respecté la règle des 3 passagers maximum. Le confinement prôné par les autorités est, pour elle, une mesure qu’elle ne peut pas se permettre.
Pour être efficaces face à la crise, les mesures prises par le gouvernement doivent donc être adaptées aux spécificités nationales, donc à cette frange de la population qui gagne sa vie au quotidien. Pour l’instant, si l’on en juge par le nombre de cas déclarés, sans accorder un satisfecit complet aux autorités, force est d’admettre qu’une certaine réactivité est à l’œuvre.