Après une hausse spectaculaire des cas de contamination au coronavirus (Covid-19) dans le monde, des mesures de confinement, des mises en quarantaine et des décès recensés dans de nombreux pays, dont un au Maroc, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a requalifié, le 11 mars, l’épidémie en pandémie.
Une dénomination qui rend compte des “niveaux alarmants de propagation et de gravité” du virus à travers les cinq continents. En plus des conséquences sanitaires, le coronavirus affole l’économie mondiale : le ralentissement des exportations, les craintes sur les marchés boursiers et les appels à l’aide sectorielle sont devenus de nouveaux baromètres de l’épidémie.
Au Maroc, l’annonce d’une sécheresse et des récoltes agricoles bien en deçà des prévisions est une circonstance aggravante qui, couplée au coronavirus, est partie pour nous faire vivre une année noire.
Effet boule de neige
Économiquement, le monde tourne au ralenti depuis bientôt deux mois, si bien que l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a annoncé un ralentissement de la croissance mondiale, qui devrait passer de 2,9 à 2,4% en 2020.
Pire, si l’épidémie se propage de manière durable en Asie-Pacifique, en Europe et en Amérique du Nord, l’OCDE estime que la croissance mondiale pourrait tomber à 1,5% cette année, soit la moitié du taux de croissance prévu avant la survenue de l’épidémie.
Le Maroc, qui compte la Chine et l’Italie – les deux plus gros foyers de l’épidémie – parmi ses principaux partenaires commerciaux, est lui aussi atteint par les premiers symptômes de la crise économique mondiale. Le 12 mars, une note d’analyse de la banque CFG, que TelQuel a pu consulter, concernant les menaces relatives au Covid-19 sur l’économie marocaine, mentionne que près de 32% du PIB national provient du commerce extérieur. La dépendance du Maroc envers des économies aujourd’hui directement impactées par la crise devrait porter un coup sévère à la croissance nationale.
Concernant les prévisions de croissance, le Haut commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, a ainsi annoncé, dans une interview au média économique Bloomberg le 10 mars, une révision de la croissance économique marocaine qui passerait de 3,5 à 2,2%, soit la plus basse jamais enregistrée au 21e siècle pour le royaume.
Contacté par TelQuel, Ahmed Lahlimi explique un mal à deux faces: “L’impact de la sécheresse est aujourd’hui avéré et touchera les cultures et l’élevage. Le coronavirus de son côté fait craindre une véritable crise de tout le système car il rompt toutes les chaînes de valeur en place et nous vivrons les effets négatifs sur la demande étrangère adressée au Maroc. Nous aurons nécessairement une baisse de notre croissance agricole comme non agricole.”
“Un plan est envisageable mais surtout indispensable. Certaines entreprises risquent d’être terrassées, entraînant des licenciements en masse”
De son côté, le président de l’Alliance des économistes istiqlaliens (AEI), Abdellatif Maâzouz, nous explique qu’une baisse de croissance était “déjà prévisible” avec la situation agricole. “Cette seconde crise liée au coronavirus, qui est mondiale, nous touche inévitablement. Certains secteurs, comme l’évènementiel, le tourisme et l’industrie, commencent déjà à être touchés”. À l’heure où de nombreux gouvernements d’Europe annoncent des mesures de sauvetage sur des secteurs économiques clés, le Maroc leur emboîtera-t-il le pas ? “Ce plan est envisageable mais surtout indispensable. Certaines entreprises risquent d’être terrassées, entraînant des licenciements en masse”, insiste le président de l’AEI.
Les Bourses voient rouge
Le lundi 9 mars restera pour la Bourse de Casablanca, comme pour beaucoup de Bourses européennes, américaines et asiatiques, une journée noire, avec un MASI qui lâchait près de 6%. Deux jours plus tard, la requalification de l’épidémie en pandémie, suivie de la décision du président américain Donald Trump de fermer les frontières américaines aux étrangers venant d’Europe pendant 30 jours, ont accéléré la débâcle boursière.
“C’est principalement la peur des effets du virus qui fait paniquer les investisseurs. Ce n’est que de la spéculation car il n’y a aucun chiffre qui démontre un véritable frein”
L’indice de la place boursière casablancaise a clôturé, le 12 mars, sur une chute historique de 6,7%. “La sécheresse et le coronavirus font vaciller les investisseurs. C’est principalement la peur des effets du virus qui fait que les investisseurs paniquent. Ce n’est que de la spéculation car il n’y a aucun chiffre qui démontre un véritable frein. Il faudra attendre les bilans du premier trimestre des entreprises”, nous confie un analyste de la place sous couvert d’anonymat.
Face aux inquiétudes des professionnels des différents secteurs économiques touchés de manière plus ou moins directe par la crise, et aux cris d’alarme lancés par certains, le ministère de l’Economie, des Finances a annoncé, le 11 mars, la mise en place d’un comité de veille économique (CVE).
Ce comité “sera chargé, d’une part, de suivre de près l’évolution de la situation économique à travers des mécanismes rigoureux de suivi et d’évaluation, et d’autre part, d’identifier les mesures appropriées en termes d’accompagnement des secteurs impactés”, a indiqué le département de Mohamed Benchaâboun dans un communiqué.
Piloté par le ministre de tutelle, le comité sera composé de membres des différents ministères concernés, de Bank Al-Maghrib, de la CGEM, du secteur bancaire et des fédérations des chambres de commerce, d’industrie, de services et d’artisanat. Ses membres seront chargés de mettre en place des mécanismes de veille sectorielle et d’autres acteurs publics ou privés pourraient rejoindre le comité si nécessaire.
Des annonces vagues pour lesquelles nous n’avons obtenu aucune explication détaillée, notamment sur les possibles ajustements de la Loi de Finances et mesures d’aides aux différents secteurs impactés, malgré nos sollicitations auprès des responsables du ministère des Finances.
En Europe, si la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas changé ses taux directeurs, elle a adopté de nouvelles mesures pour endiguer la crise financière en débloquant notamment 120 milliards d’euros supplémentaires pour l’achat d’obligations d’ici la fin de l’année.
Jeudi 12 mars, le Chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, a indiqué dans un tweet avoir tenu des discussions lors de la réunion hebdomadaire du Conseil de gouvernement au sujet de l’effet du coronavirus sur l’économie nationale “afin d’analyser la situation et de proposer des mesures préventives”, mais rien n’a encore filtré sur ces propositions.
L’industrie sur le qui-vive
Avec près de 10% du PIB marocain dépendant de l’agriculture et de nombreux acteurs impactés, l’annulation, le 2 mars, du Salon international de l’agriculture de Meknès (SIAM) a marqué les esprits. C’est désormais au tour d’un autre secteur porteur de l’économie d’être touché cette semaine.
Le 11 mars, la décision du report de l’Auto-Expo casablancais est officiellement actée par l’Association des importateurs de véhicules automobiles montés (AIVAM). Organisé une fois tous les deux ans, l’événement phare de l’industrie automobile sera reporté au mois de juin 2021 suite aux craintes de contagion du coronavirus, annonce le communiqué de l’AIVAM, en charge de son organisation.
Contacté par TelQuel, Adil Bennani, président de l’AIVAM, nous explique : “l’Auto-expo est un salon majeur dans la vente automobile. En tant que distributeurs, nous vendrons ce que nous vendrons. Tout sera une question de gestion des volumes et de saisonnalité.”
“Il est clair que tout ce qui est de l’ordre de la consommation non alimentaire au Maroc a ralenti. Nous ne sommes pas encore dans une logique de panique, mais tout ce qui touche aux loisirs est impacté”
S’il est encore tôt pour établir une estimation claire des dégâts causés à l’industrie marocaine, ceux qui sont en contact direct avec la Chine souffrent encore plus des difficultés d’approvisionnement et des répercussions sur le marché domestique. “Il est clair que tout ce qui est de l’ordre de la consommation non alimentaire au Maroc a ralenti. Nous ne sommes pas encore dans une logique de panique, mais tout ce qui touche aux loisirs est impacté. Sur les marchés internationaux, nous sommes dans une phase d’incertitude absolue. Nous n’avons pas de visibilité en ce qui concerne les commandes à court ou moyen terme”, explique Karim Tazi, directeur de l’enseigne de prêt-à-porter Marwa.
“Aujourd’hui, il faut des mesures de soutien fortes et urgentes de la part des pouvoirs publics. Il y a clairement une prise de conscience avec la création du comité de veille stratégique, mais il faut voir ce que cela va donner concrètement”, poursuit l’industriel.
“Il y a de la perturbation, c’est indéniable. Concernant les visites de partenaires européens et autres, nous recevons des annulations en cascade”
Pour son homonyme, Karim Tazi, administrateur du groupe Richbond, la principale difficulté à laquelle fait face le secteur, hormis les retards de livraison et d’approvisionnement, sont les rendez-vous internationaux d’affaires qui s’annulent les uns après les autres. “Il y a de la perturbation, c’est indéniable. Concernant les visites de partenaires européens et autres, nous recevons des annulations en cascade. Réunions, rendez-vous, conférences d’affaires sont annulés les uns après les autres”, déplore-t-il.
Si la frayeur et les difficultés économiques touchent dans un premier temps les industriels qui ont un lien direct avec la Chine, d’autres sont victimes des malaises sévissant sur les places financières. “Depuis la semaine dernière, nous avons ressenti une pression vendeuse qui n’était pas accompagnée par de l’achat. Malgré la patience, les 5 et 6 mars, ils ont commencé à brader les prix et à aller chercher un achat à -5 ou -10% du cours de référence”, nous explique un analyste financier souhaitant garder l’anonymat.
“Si l’on traite seulement de ses effets sur notre activité, je peux dire que nous n’avons rien constaté du tout. Nos volumes n’ont pas été impactés”
Un phénomène adossé à la sécheresse qui sévit dans le pays ainsi qu’au manque de visibilité sur l’économie mondiale liée aux craintes de propagation du coronavirus. C’est le cas de Marsa Maroc. Contacté par TelQuel, le président du directoire de l’entreprise, Mohammed Abdeljalil, se veut rassurant: “Si l’on traite seulement de ses effets sur notre activité, je peux dire que nous n’avons rien constaté du tout. Nos volumes n’ont pas été impactés sur nos chiffres consolidés de février.”
Mais la psychose est plus forte. Lundi 9 mars, le titre boursier de l’entreprise a dévissé de près de 10% en une journée, par crainte des investisseurs et de rétractation de la demande sur les marchés. Alors que l’action valait quelque 223,5 dirhams au 17 février, le cours a subi une baisse cumulée de 24% jusqu’au 9 mars, affichant un prix facial de 170 dirhams.
Le tourisme en première ligne
L’Europe, depuis près de 10 jours, passe par l’évolution la plus forte du coronavirus sur son territoire depuis le début de la crise. La France, l’Espagne et l’Italie sont les pays les plus touchés par le Covid-19 avec plus de 20.000 cas ensemble (au 12 mars). Depuis le 10 mars et jusqu’au 3 avril prochain, Giuseppe Conte, président du Conseil italien, a pris la décision inédite de placer le pays entier en quarantaine.
Une décision économiquement lourde de sens tant pour le pays de la botte que pour ses partenaires économiques. Des compagnies aériennes comme Ryanair, Air France, EasyJet ou Royal Air Maroc ont annoncé la suspension de leurs lignes à destination et en partance du territoire italien. Des craintes qui finissent par toucher les acteurs du secteur touristique de plein fouet.
“Les cas de touristes contaminés à Marrakech vont impacter les provenances depuis la France qui est, rappelons-le, notre premier marché”
Une inquiétude confirmée par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) qui, dans un communiqué publié début mars, rectifiait ses prévisions. De 4% de hausse prévue en 2020, l’OMT a replacé son curseur sur une baisse globale pouvant aller de 1 à 3% et des pertes financières estimées entre 30 et 50 milliards de dollars. “Les cas de touristes contaminés à Marrakech vont impacter les provenances depuis la France qui est, rappelons-le, notre premier marché. Les gens associeront le Maroc à un risque de contamination”, déplore Hayat Jebrane, directrice de l’agence Goal Voyages.
Elle poursuit: “Nous avons eu des crises en 2008, 2012… Mais cette fois-ci, on ne sait pas quelle sera l’ampleur ni où ça va mener. Tout le secteur souffre, que ce soit les professionnels spécialisés sur les touristes chinois, sur la Omra, l’Italie… Nous avons besoin de savoir quels seront les soutiens de la tutelle pour nous aider.” Un impact dans un premier temps psychologique, qui se meut en un potentiel désastre pour le tissu économique local.
Zurab Pololikashvili, secrétaire général de l’OMT, a indiqué dans le communiqué de l’organisation que les petites et moyennes entreprises, qui représentent environ 80% du secteur du tourisme, “sont particulièrement exposées”. Pesant près de 7% du PIB marocain, le secteur est bel et bien le premier à souffrir de la chute drastique des déplacements et des mesures de confinement.
Dans la note de CFG Bank sur l’impact du coronavirus sur l’économie marocaine, les analystes financiers font état d’un risque majeur sur différents secteurs de l’économie, notamment sur le tourisme. La note présente une chute potentielle de 39% du nombre de touristes visitant le Maroc en 2020 par rapport à 2019, passant de 12,9 à 7,9 millions de touristes. La note précise se baser sur le fait que “le nombre de touristes français diminuerait de 50%, qu’il n’y ait aucun touriste italien ainsi qu’une chute de 20% sur les arrivées en provenance des autres pays”.
“C’est une hécatombe, tout est à l’arrêt. Pour l’instant, on évalue à environ 12 millions de dirhams les pertes depuis deux mois pour notre activité croisière”
Une chute des arrivées touristiques vécue comme un coup de massue par les professionnels. “C’est une hécatombe, tout est à l’arrêt. Pour l’instant, on évalue à environ 12 millions de dirhams les pertes depuis deux mois pour notre activité croisière”, se désole Jalil Madih, directeur de l’agence de voyages et de croisières Alizés Travel. “Nous n’avons jamais connu de crise de cette ampleur. J’ai soixante employés, entre le transport touristique et l’agence de voyage, et désormais ils rangent des dossiers. Qui plus est, nous n’avons pas de contact avec le ministère du Tourisme, rien n’est prévu jusqu’à présent, aucune aide ni compensation”, s’affole le croisiériste.
Même si au niveau sectoriel aucun chiffre n’a été avancé, les restrictions de mouvements et la psychose mondiale poussent les gens à moins, voire ne pas voyager de peur de contracter le virus. De son côté, Jamal Saadi, guide à Marrakech et ex-président de la Fédération nationale des guides touristiques, nous explique: “Les trois cas annoncés au Sofitel de Marrakech ont jeté une peur sur le secteur hôtelier de la ville. Nous restons dans l’expectative quant aux réservations des clients. En revanche, concernant les mariages, congrès et activités événementielles, tout est annulé”.
Cloués au sol
“Il y a un véritable effondrement du marché. Même si le Maroc est moins touché que d’autres pays, on enregistre une grande baisse des réservations”
Du côté des transports, le domaine aérien est le plus directement touché. Lignes à l’arrêt, chute des réservations et annulations de billets par les voyageurs inquiets… “Il y a un véritable effondrement du marché. Même si le Maroc est moins touché que d’autres pays, on enregistre une grande baisse des réservations. Ceux qui continuent de voyager le font parce qu’ils ont des raisons qui les y obligent”, indique à TelQuel Laila Mechbal, directrice générale d’Air Arabia Maroc.
“C’est la première fois qu’on fait face à une crise de ce genre. Pour les compagnies aériennes, ça rappelle la période post-11 septembre 2001!”
La compagnie aérienne low cost, qui dessert sept destinations en Italie – deuxième plus gros foyer de l’épidémie après la Chine, en quarantaine jusqu’au 3 avril – a suspendu tous ses vols vers Bologne, Milan, Turin, Venise, Naples, Catane et Pise jusqu’à fin mars. “Mais on s’attend malheureusement à ce que ça perdure”, déplore-t-elle. “Nous traversons des temps difficiles. C’est la première fois qu’on fait face à une crise de ce genre. Pour les compagnies aériennes, ça rappelle la période post-11 septembre 2001!”, ajoute la directrice, qui a dû prendre des mesures drastiques au niveau de la compagnie pour limiter les dépenses. “Nous avons gelé les recrutements et les dépenses non nécessaires, et nous avons envoyé certains membres d’équipage en congés”, explique-t-elle.
La Royal Air Maroc a quant à elle annoncé le 10 mars la suspension de tous ses vols à destination et en provenance d’Italie, soit 56 vols par semaine vers cinq villes (Milan, Venise, Bologne, Turin et Rome) jusqu’à nouvel ordre. Elle avait déjà suspendu la ligne Casablanca-Pékin le 31 janvier, deux semaines à peine après son inauguration, et toutes les relations aériennes et maritimes avec l’Espagne le 12 mars. Elle a également mis en place un dispositif à destination de ses clients afin qu’ils puissent modifier leurs dates de vol sans frais.
Contactés par TelQuel à plusieurs reprises pour comprendre l’impact de la crise sur les activités de la compagnie et les mesures mises en place pour y faire face, ni le PDG de la compagnie, Abdelhamid Addou, ni le responsable communication, Hakim Challot, n’ont souhaité répondre à nos sollicitations. Dans un entretien accordé à L’Economiste le 10 mars, le PDG a néanmoins estimé à 30% la baisse du trafic aérien depuis le 1er mars et jusqu’au 31 mai.
“Nous espérons un rapide retour à la normale, une fois cette crise passée, afin de continuer à transporter nos clients en Italie, notamment nos compatriotes y résidant”
La suspension de la Omra par les autorités saoudiennes est un autre coup dur pour la RAM, qui transporte chaque année des milliers de pèlerins en Arabie Saoudite. Le PDG a lancé un plan d’austérité pour la compagnie, passant là aussi par le gel des recrutements, la gestion des congés des employés et l’arrêt des achats hors besoins d’exploitation courante. “Nous espérons un rapide retour à la normale, une fois cette crise passée, afin de continuer à transporter nos clients en Italie, notamment nos compatriotes y résidant”, tente-t-il de rassurer.
Une situation de crise qui risque pourtant de s’amplifier à cause des restrictions instaurées par plusieurs pays. Dernière en date: l’annonce de Trump de fermer les Etats-Unis aux étrangers voyageant depuis l’Europe. Selon les dernières prévisions de l’Association internationale du transport aérien (IATA), le manque à gagner pour le secteur aérien mondial à cause de l’épidémie pourrait s’établir entre 63 et 113 milliards de dollars en 2020. Aucune estimation n’est encore disponible concernant l’impact sur les opérations de fret.
Des ports bloqués
Bien que moins visible, le transport terrestre est lui aussi touché, notamment au niveau touristique. Interrogé sur les répercussions du coronavirus sur l’activité de la compagnie, le directeur des activités support de la CTM, Reda Douihri, fait le distinguo entre le transport interurbain, où la situation est relativement stable, et le transport touristique ou international, un peu plus touchés.
“Au niveau du transport entre les villes marocaines, il n’y a pas vraiment d’impact sur notre chiffre d’affaires. Par contre, on a remarqué une baisse de 50 à 60% du nombre de touristes étrangers sur nos lignes (qui représentent entre 1 et 2% des passagers), notamment chinois, qui voyagent d’habitude vers Chefchaouen, Essaouira et Ouarzazate”, nous explique-t-il.
L’annulation ou le report de grands événements au Maroc, comme le SIAM, le Forum Crans Montana à Dakhla ou le Marathon des Sables, qui drainent chaque année quelques centaines de passagers arrivant par autocar, a également eu des répercussions sur le transport touristique opéré par la compagnie, qui représente 5 à 6% du chiffre d’affaires global de la CTM.
Enfin, les autocars qui desservent la France et l’Espagne ont enregistré un début de baisse de fréquentation. “Nous allons devoir réduire les fréquences sur ces lignes”, annonce Reda Douihri.
Dans le domaine maritime, enfin, les compagnies assurant le transport de passagers entre le Maroc et l’Italie ont elles aussi suspendu leurs activités. C’est le cas par exemple de la compagnie italienne Grandi Navi Veloci (GNV), qui a temporairement suspendu ses ferries entre les ports de Tanger et Gênes jusqu’au 3 avril.
Des mesures sanitaires et de contrôle ont par ailleurs été prises pour le fret, indique Halima El Mansour, responsable administrative et de développement de GNV au Maroc. “On ne peut pas chiffrer pour le moment les pertes financières pour la compagnie maritime, mais on essaie de minimiser l’impact sur l’échange Maroc-Italie”, assure-t-elle.
Et de souligner que les autres lignes opérées par la compagnie à destination de France et d’Espagne n’ont pas été suspendues, et que les clients pourront modifier leurs billets pour d’autres dates sous réserve de disponibilité et d’éventuels ajustements tarifaires. Le trafic devrait reprendre le 4 avril “sous réserve de confirmation des autorités marocaines”, tient à préciser la responsable de la compagnie.
La fête est finie
Branle-bas de combat également dans le secteur de l’événementiel. Après l’annonce du premier cas de coronavirus au Maroc début mars, qui a poussé l’organisation du SIAM à annuler l’événement quelques jours avant son inauguration, une circulaire “très urgente” du porte-parole du gouvernement est tombée le 5 mars, interdisant tous les événements avec participation étrangère (conférences, rencontres culturelles ou sportives) ainsi que les événements rassemblant plus de 1000 personnes dans un lieu confiné et tous les festivals, et ce jusqu’à fin mars.
“Les événements internationaux et les gros congrès ont été frappés de plein fouet, tout s’est arrêté d’un coup”
Les matchs de foot se jouent désormais à huis clos et les moussems religieux ont été interdits par le ministère des Habous et des Affaires islamiques. Une mesure qui tombe comme un couperet pour les acteurs du milieu de l’événementiel, obligés d’annuler des événements en cascade. “Les événements internationaux et les gros congrès ont été frappés de plein fouet, tout s’est arrêté d’un coup”, témoigne une source travaillant dans le secteur.
“Si les grandes agences pourront traverser cette période de crise, les petites agences, qui tournent par exemple grâce à des salons ou événements liés à l’actualité, risquent quant à elles d’en pâtir très sérieusement”, ajoute notre source. Tous les métiers annexes, comme les monteurs de stands, techniciens, manutentionnaires, hôtes et hôtesses d’accueil, sont eux aussi directement touchés par ces annulations.
“Nous naviguons à vue”
Pour le moment, difficile pour les professionnels du secteur d’évaluer les pertes financières liées au coronavirus. “C’est un manque à gagner certain. Nous assurons les charges fixes, mais nous n’avons aucune rentabilité. C’est une période de crise comme on n’en a jamais vu”, témoigne Saâd Nejjai, fondateur de l’agence de communication événementielle NEO.
“On ne peut pas commencer à licencier les gens, mais que se passera-t-il si la crise continue un mois, six mois, un an? Avec le ramadan qui arrive, période généralement creuse pour le secteur, c’est une année morte qui s’annonce”
“On a préparé de nombreux événements sportifs ou institutionnels, des cérémonies, des remises de prix… Tout est parti à la poubelle”, déplore-t-il, soulignant n’avoir aucune visibilité sur la suite de leurs activités. “Nous naviguons à vue, pour ne pas dire nous perdons à vue. Avec le temps, il va falloir prendre des décisions draconiennes. On ne peut pas commencer à licencier les gens, mais que se passera-t-il si la crise continue un mois, six mois, un an ? Avec le ramadan qui arrive, période généralement creuse pour le secteur, c’est une année morte qui s’annonce”, estime le manager, obligé de se rabattre sur les événements privés (fêtes et mariages), seule activité de son agence non impactée par la crise.
Pour l’instant, aucune compensation financière de la part du gouvernement n’est prévue. “Notre secteur n’est pas règlementé, nous n’avons pas de fédération ou d’association qui puisse nous aider à ce niveau-là”, regrette le directeur d’agence. L’Institut français, actif en matière d’organisations d’événements culturels dans plusieurs villes du pays, a quant à lui reporté la plupart de ses programmations prévues en mars et avril.
Certains événements sont reportés entre le mois de juin et début juillet, et une majorité sur le dernier trimestre 2020. “Les deux grosses annulations portaient sur le FICAM (Festival international de cinéma d’animation de Meknès) et la tournée en cours de l’acteur Charles Berling”, indique une source au sein de l’Institut français.
“Notre souci premier était de bien respecter le dispositif de protection mis en place par les autorités marocaines pour éviter tout risque de propagation du coronavirus et de protéger la population contre cette infection. Le coût approximatif de ces annulations est de quelques milliers d’euros. Nous avons réussi à limiter l’impact financier en trouvant des solutions alternatives avec les compagnies aériennes et les artistes qui ont fait preuve de beaucoup de compréhension”.
Sécheresse: Akhannouch sauve ce qu’il peut
Des mesures d’urgence pour sauver ce qui peut encore l’être. Alors que de nombreux indicateurs du secteur agricole sont en berne, le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, a évoqué la mise en place de nouveaux leviers pour parer aux aléas qui menacent la saison agricole.
Le 11 mars au parlement et devant les membres de la commission des secteurs sociaux, Aziz Akhannouch a mis l’accent sur la protection du bétail, particulièrement pris en étau du fait des conditions climatiques. Pour ce faire, il a annoncé l’allocation d’une enveloppe budgétaire de 55 millions de dirhams “dans le cadre d’une première phase”, avec l’orge comme “priorité”. “55 millions de dirhams d’orge seront distribués aux agriculteurs dès les prochains jours”, a poursuivi le ministre, également patron du Rassemblement national des indépendants (RNI).
Et de poursuivre: “Nous avons également lancé un programme de 2.165.000 quintaux d’orge et une dotation de 11 millions de dirhams d’orge suivra”. Une première mesure pour couvrir les deux prochains mois, avec des appels d’offres “lancés incessamment”.
Cette première action en annonce d’autres. “Un programme d’urgence plus global sera mis en place comme en 2016, en fonction de l’évolution de la situation. Mais pour ne pas attendre, nous avons préféré démarrer avec ces mesures”, a-t-il précisé. Le temps nous dira si elles sont d’une quelconque efficacité contre un secteur vital en proie à la sécheresse.