Le but était-il de faire peur ? Pari gagné. Aucun journaliste marocain ne peut aujourd’hui prétendre faire son travail sereinement, appuyé par une puissance publique garante de ses droits et de la liberté d’expression. Nos confrères, Mohamed Aheddad (Al Massae), Abdelhak Belachgar (Akhbar Al Yaoum), Kaoutar Zaki et Abdelilah Sakhir (Aljarida24) viennent d’être condamnés à 6 mois de prison avec sursis et une amende de 10.000 dirhams chacun pour avoir fait leur travail.
Concrètement, ces quatre journalistes ont publié, fin 2016, des extraits de débats d’une commission d’enquête parlementaire consacrés au déficit de la Caisse marocaine de retraites (CMR). Des contenus authentiques – confirmés par des extraits vidéo fournis par Aziz Benazzouz, le président du groupe PAM à la Chambre des conseillers -, d’utilité publique, et qui “n’ont causé aucun tort à la collectivité”, comme le rappelle l’un des condamnés. Pour les attaquer, Hakim Benchamach, président de la Chambre des conseillers et patron du PAM, s’est fondé sur l’article 14 de la loi organique relative aux commissions d’enquête parlementaires. Nos confrères ont donc été jugés et condamnés, dans le cadre de l’exercice de leur métier, non pas selon les règles du Code de la presse mais d’après une autre loi.
“Au Maroc, la liberté d’expression n’est pas garantie par le Code de la presse et les journalistes évoluent dans un cadre professionnel dangereux pour leur liberté”
Arrêtons donc la comédie ! Un Code de la presse qui ne dispose pas clairement qu’un délit de presse ne peut pas être puni par une autre loi ne sert strictement à rien. Encore moins quand ce même Code prévoit des cas particuliers dans lesquels les journalistes sont jugés au pénal. Autant le dire clairement : au Maroc, la liberté d’expression n’est pas garantie par le Code de la presse et les journalistes évoluent dans un cadre professionnel dangereux pour leur liberté. Remercions pour cela un ancien confrère et ex-ministre de tutelle, Mustapha El Khalfi, heureux de présenter le Code de la presse qu’il a défendu comme une avancée majeure pour la liberté d’expression. Il n’est plus journaliste et est désormais mieux protégé dans l’exercice de ses fonctions de Porte-parole du gouvernement que ses anciens confrères. De plus en plus nombreux à perdre foi en leur métier.
Au-delà du réflexe corporatiste, nécessaire dans ce cas précis, chaque citoyen doit mesurer l’impact néfaste de cette condamnation sur ses droits et ses libertés. Ce que nos quatre confrères ont fait, au-delà de leur métier, est un service rendu aux Marocains : informer, donner des outils de compréhension des enjeux qui les touchent directement. Les journalistes marocains sont régulièrement critiqués et attaqués, parfois accusés de ne pas assez oser. A tort ou à raison. Encore faut-il les appuyer quand ils sont durement frappés. Hakim Benchamach est à la tête d’un parti qui se revendique de la “modernité”.
Il ne faudra pas oublier ce geste contre la presse et la liberté au moment d’évaluer sa sincérité d’homme politique, même s’il n’avait pas vraiment besoin de cette affaire pour nous en faire douter. Que ceux qui aspirent à ne pas être que des sujets se rappellent que le chemin vers la citoyenneté commence lorsqu’on est informé.