Petit rappel. En 2013, Touria El Glaoui – petite-fille du fameux pacha et fille du non moins fameux peintre – crée la première édition de la 1-54 Contemporary African Art Fair à Londres. 1, pour un continent, 54, pour les cinquante-quatre pays. La foire, abritée dans une aile de Somerset House, à Covent Garden, s’impose rapidement comme le plus important rendez-vous européen de l’art africain contemporain, un marché déjà fortement émergent. 2014, l’ex-étudiante en finance à l’Université Pace à New York installe une première édition de son Art Fair à Red Hook, à Brooklyn.
Pas bête, quand on sait qu’il existe une grande bourgeoisie afro-américaine férue de produits culturels contemporains lui rappelant que leur continent d’origine n’est pas qu’une vaste savane désolée, parcourue de girafes et autres gnous… Ça marche ! L’an dernier, il y eut la version marocaine – soufflée d’en haut, dit-on, sans aucune preuve avancée, si ce n’est le choix de La Mamounia pour abriter la Contemporary African Art Fair Marrakech.
Une foire, pas une biennale
Beaucoup de visiteurs marocains, la plupart descendus de Casablanca, se sont plaints encore une fois de la difficulté d’accès au pavillon extérieur, accueillant l’événement. En effet, il fallait être muni d’un badge spécifique, ou avoir l’air particulièrement rupin pour. C’est ne pas bien saisir le sens et la fonction d’une foire – à ne surtout pas confondre avec une biennale !
Dans le premier cas, des galeries d’art – une vingtaine en l’occurrence –, paient, conséquemment, des stands où elles proposent à la vente des artistes, plus ou moins emblématiques, à de potentiels acheteurs, collectionneurs, marchands d’art et autres fondations. Ainsi qu’à des représentants de la presse nationale et internationale, soigneusement sélectionnés.
Il est évident, dans ce cas, que la présence d’une foule piétinante de simples curieux ne pourrait que nuire à la bonne marche des affaires ! Car, il s’agit bien là d’un marché. Le Maroc ayant affiché clairement sa volonté de se constituer en principal hub du marché de l’art africain… en terre d’Afrique, s’entend. Ambition que ne lui dispute, pour l’instant, que cet autre “pays frère” qu’est l’Afrique du Sud – lequel reste, de l’avis de la presse internationale, autrement mieux outillé, et en infrastructures et en capital. Pour l’instant. Car le contentement, pour ne pas dire le sourire béat, affichés par les quelques étrangers – collectionneurs et journalistes –, manifestement ravis de ces quelques jours – du jeudi au dimanche derniers – passés à Kech, nous sont apparus, à nous comme à d’autres, d’excellent augure.
Il faut dire que la capitale almohade, au charme berbéro-andalou, se fait, d’année en année, plus agréablement urbaine et coquette : larges trottoirs dégagés, à la propreté étonnante pour les Casablancais éprouvés que nous sommes, bordés d’allées de bigaradiers, palmiers dattiers et autres rosiers, etc. Non, en cette saison particulièrement, la douceur de vivre de Marrakech, comme la discipline et l’amabilité des Marrakchis, ne relèvent pas du simple cliché.
Lors d’un déjeuné fort couru, et des plus sympathiques, à la résidence d’artistes Al Maqam, à Tahannaout, il a été annoncé Prête-moi ton rêve. Une exposition panafricaine itinérante, réunissant pas moins d’une trentaine de grands noms du continent. Commissaire artistique : Brahim Alaoui. Commissaire général : Yacouba Konaté. L’événement, qui se veut ambitieux, est l’initiative de la Fondation pour le développement de la culture contemporaine africaine (FDCCA), présidée par Moulay Ismaïl himself. Officiellement prévue pour l’été prochain. Nous patienterons.
Pour notre bonheur à tous et celui des centaines de visiteurs, venus exprès profiter de ce long week-end artistique, une bonne dizaine d’événements, d’une qualité générale remarquable, ont été montés, en marge de la Art Fair. Nous ne pouvions, humainement, toutes les couvrir, mais nous en avons, assez aléatoirement – au gré de notre sensibilité et de l’espace qui nous est ici imparti – sélectionné un petit florilège. Bonne balade.
BAALA, LE PLUS AFRICAIN DES MAROCAINS
Dans notre numéro double estival de l’année 2017, nous vous présentions déjà celui qui n’était considéré alors que comme un talent émergent, sous l’intitulé suivant “Mo Baala, le plus afro-urbain”.
Celui que d’aucuns avaient tout de suite qualifié de Basquiat marocain est, aujourd’hui, une valeur sûre du paysage plastique marocain, s’exportant déjà à l’étranger. On pouvait voir ses récents travaux, 2, place Jamaâ El Fna, dans le cadre d’une exposition-installation intitulée “Dada”. Cela se passait dans un bâtiment “en friche”, c’est-à-dire non fini, destiné, nous annonce-t-on, à devenir un espace culturel qui ouvrira, officiellement, à l’automne prochain – “Dada”, n’ayant duré que l’espace de la Art Fair.
Image extraite du nouvel ouvrage des éditions Langages du Sud, un who’s who réunissant une soixantaine d’artistes marocains modernes et contemporains, les principaux vivants – avec quelques oublis. Texte de Fouad Laroui.
UNE NOUVELLE MARTIENNE MAROCAINE
C’est notre coup de cœur- découverte. Nous l’avouons humblement, nous ne connaissions pas cette artiste-là. Maria Karim est une Martienne à plus d’un titre. Déjà, son sujet-objet pictural échappe totalement à tout questionnement identitaire et/ou politique, contrairement à la majorité des artistes contemporains marocains.
Secundo, elle peint des “autoportraits”, comme elle dit elle-même, qui sont d’étranges personnages mi-mangas mi-Aliens. Cette jeune femme, lauréate des Beaux-arts de Casablanca, puis d’Aix-en- Provence (France), nous est révélée par la curatrice Salma Lahlou de Thinkart.
Au Palais Badii. Jusqu’au 24 mars.
DAOUDI, TOUJOURS AU CŒUR DE L’ACTUALITÉ
Un lieu. L’ex-agence Bank Al-Maghrib de la place Jamaâ El Fna. Cédé par la banque à la commune. Ayant abrité plusieurs expositions conséquentes, à l’initiative, entre autres, de Hicham Daoudi, le désormais incontournable marchand d’art et galeriste signe là un double coup d’éclat. Dans le cadre de la 1-54 et uniquement, un “musée imaginaire”. Véritable noyau de ce musée d’art moderne marocain que nous attendons tous. Pédagogique. Œuvres rares miraculeusement réunies. Commençant par un Jilali Gharbaoui et finissant par un Saladi, en passant par le très méconnu Boujemaâ Lakhdar. A suivre. D’autant que, juste après, la Fondation Mohammed VI des musées du Maroc a préempté le lieu, futur musée. Le succès unanime de cet accrochage nous rappelle, si besoin était, la nécessité d’une véritable histoire de l’art moderne marocain. Appel assumé aux institutions.
Second coup. Le Comptoir des mines galerie, rue de Yougoslavie, s’est encore une fois brillamment illustré comme le principal producteur de la dernière génération d’artistes marocains contemporains. Pas moins de sept artistes, en plus de feu Mohammed Kacimi. “Poésies Africaines” est une exposition majeure. Nous ne pouvons, encore une fois, citer tout le monde ni tout décrire, mais nous ne pouvons pas ne pas relever l’extraordinaire performance d’un Mohamed Aredjal. Lequel nous parle de nomadisme et autres émigrations au “rythme du sable”, avec des sculptures-installations proprement sidérantes. Sans oublier la calligraphie kufique faite de résidus d’un assemblage de circuits électroniques sur bois par Larbi Cherkaoui, qui, définitivement là, s’installe.
“Poésies Africaines”, jusqu’au 22 avril.