Le Suisse en nous

Par Fatym Layachi

Cette semaine, tu es super contente. Il se passe enfin quelque chose qui te sort de la torpeur de ton quotidien. Tu es enfin exaltée par quelque chose qui te surprend. Tu as quatre jours de séminaire avec ta boîte. Dans l’absolu, c’est le genre d’événement qui te soûle au plus haut point. Tu n’es absolument pas fan du concept de la sociabilité corporate. Mais là, il se trouve que ce séminaire se passe en Suisse et ça, ça te plaît. Tu as fait ta valise avec un plaisir non dissimulé. Tu es tellement contente de pouvoir profiter de tes petits pulls en cachemire et autres écharpes bien chaudes. Tu as hâte de passer un moment de véritable hiver. Avec du froid, des odeurs de cheminée, voire de neige qui tombe. Tu as fait une manucure et opté pour un vernis lie-de-vin. Tu trouves ça de saison comme couleur. Tu enfiles ton manteau et files à l’aéroport.

Tu retrouves tes collègues dans ce hall bordélique. C’est fou comme ce départ te met en joie. Au comptoir d’enregistrement, une dame tente de négocier son excédent de bagages. Un gars pique une gueulante au téléphone, “son” douanier, qui le fait passer au fast track sans vérifier le montant de devises qu’il a sur lui, n’est pas là. Ça le met hors de lui. Il appelle son cousin pour qu’il lui trouve une autre solution au plus vite. Vous finissez par embarquer sans trop d’encombres et, au bout de trois heures, tu atterris au pays du chocolat, du gruyère et des montres. Dès la sortie de l’avion, tu hallucines. Tes collègues ont l’air différent.

Ces mêmes types qui, à domicile, sont incapables de respecter la moindre file d’attente dans une administration, une banque ou chez le boucher sont subitement super disciplinés. Ils font la queue proprement, calmement. Ils ont l’air calme et détendu. Le contrôle des passeports se passe dans la plus grande des décontractions. Tu n’oses même pas imaginer le chaos que ce sera le jour du retour dans le plus beau pays du monde. Une voiture vous attend. Vous traversez la ville. C’est magnifique. Tout n’est peut-être pas que luxe, calme et volupté, mais tout est calme, propre et ordonné. Ça fait du bien. Ne serait-ce que visuellement, c’est très apaisant. Pas un papier qui traîne par terre, des espaces verts, des avenues où il doit être agréable de marcher. L’hôtel est charmant. Assez vite, tu as l’impression qu’ici, tout est pratique, précis et efficace. Tout fonctionne parfaitement. Tu comprends mieux l’expression “réglé comme une horloge suisse”.

“Mais comment on peut arriver à se détester à ce point ? Comment on peut arriver à être autant dans l’auto-hogra ?”

Fatym Layachi

Au fil des jours, tes collègues et toi aussi semblez être mieux réglés. C’est fou de constater que nos comportements peuvent changer en fonction de l’environnement dans lequel on se trouve. Et ça te fait penser à toutes ces phrases que tu peux entendre quand tu es à l’étranger du style “Non mais ça, ça marchera jamais au Maroc !”, ou bien les phrases catégoriques du type “Avec les Marocains ce n’est pas possible. On n’est pas faits pour ça”. Mais comment on peut arriver à se détester à ce point ? Comment on peut arriver à être autant dans l’auto-hogra ? Ça te met hors de toi.

Du coup, tu en viens à te demander si le bordel est inné ou acquis. Et tu refuses de croire que le bordel, la désorganisation, les trucs un peu bancals à la limite du chaotique soient une fatalité. Tu es absolument persuadée qu’il suffirait que l’Etat, ou tu ne sais quelle structure censée organiser la vie en société, se mettent enfin en branle  pour que tes compatriotes et toi soyez moins bordéliques. Et que tout soit moins flou. Car pour pouvoir respecter des règles, il faut d’abord qu’elles soient claires.