Pour beaucoup, Ahmed Rahhou est le sauveur de la CIH. À son arrivée à la tête de la banque publique en 2009, l’établissement est englué dans des affaires de « dilapidation de deniers publics ». Il entame alors un virage complet pour sortir la banque de cette mauvaise passe avec une nouvelle identité visuelle, un nouveau positionnement et un investissement massif dans le digital. En septembre 2018, le CIH revendique même une progression de 136,7% de son résultat net part du groupe entre les premiers semestres 2017 et 2018.
On peut parler de mission accomplie pour ce polytechnicien qui fut également directeur général adjoint du Crédit du Maroc avant d’être nommé à la tête de Lesieur Cristal en 2003. Depuis quelques mois, le nom d’Ahmed Rahhou est évoqué pour diriger plusieurs institutions comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE), la Banque centrale populaire (BCP), ou encore Bank Al Maghrib.
Le Conseil des ministres du 7 février dernier a coupé court à toutes ces rumeurs. Ce jour-là, celui qui n’a jamais occupé de fonction diplomatique a été nommé à la tête de la représentation permanente du Maroc auprès de l’Union européenne. Au lendemain de l’adoption des nouvelles moutures de l’accord agricole et de l’accord de pêche, sa nomination augure une nouvelle phase dans les relations Maroc-UE.
Construction diplomatique et combat politique
Ce poste à Bruxelles a été occupé depuis quinze ans par deux ambassadeurs au profil radicalement différent de celui d’Ahmed Rahhou. Chacun des mandats précédents correspondait à des batailles diplomatiques, mais aussi politiques au sein de l’Union européenne. Le défunt Menouar Alem, qui a représenté le Maroc à Bruxelles entre 2004 et 2016 était l’une des chevilles ouvrières de la relation Maroc-UE.
C’est sus son mandat que le Maroc a obtenu le statut avancé de coopération avec l’Union européenne en 2008. Ce dernier permettra notamment la signature de l’accord de pêche. Devant le refus de proroger cet accord en 2011, Menouar Alem s’activera auprès des eurodéputés pour faire pencher la balance en faveur du Maroc. Pari réussi, puisque le texte sera finalement ratifié en 2014.
Deux ans plus tard, la situation est différente. Lorsqu’Ahmed Reda Chami reprend le flambeau, le Royaume vient d’annoncer le gel de tout contact officiel avec l’UE en réaction à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne d’annuler l’accord agricole. « La diplomatie marocaine n’avait alors pas besoin d’un diplomate, mais d’un connaisseur de l’activité politique et parlementaire capable de comprendre la complexité que le parlement peut avoir », affirme Gilles Pargneau, eurodéputé, président du groupe parlementaire Maroc-UE. Le poste est taillé sur mesure pour Chami, ancien élu USFP de la circonscription Fès-Sud, et ancien ministre de l’Industrie. Il fera ainsi partie des principaux protagonistes dans le vote du parlement européen en faveur de l’adoption de la nouvelle mouture de l’accord agricole et de pêche qui incluent explicitement le Sahara.
Prochaine bataille : Le dossier fiscal
Comme une sorte de passation de pouvoir, Ahmed Rahhou appellera Ahmed Reda Chami le 12 février pour féliciter son désormais prédécesseur pour cette nouvelle victoire au parlement européen. Si le banquier n’a aucune expérience dans la diplomatie, ses compétences techniques pourraient être utiles au Maroc dans le cadre de son prochain défi au sein de l’Union européenne.
Flash-back : fin 2017, un document soumis par les ministres européens des Finances fait figurer le Maroc dans une liste noire des pays qui ne sont pas coopératifs en matière fiscale. L’ancien ministre des Finances Mohamed Boussaid et celui des Affaires étrangères, Nasser Bourita, donnent des gages pour que l’UE sorte le Maroc de cette liste.
Le premier est la ratification de la Convention multilatérale de l’OCDE et du Conseil de l’Europe concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Le second gage est l’adoption partielle des standards du BEPS (Érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices). Le troisième point, relatif au redressement des régimes fiscaux, n’a pas encore été adopté par le Maroc. Le Royaume a jusqu’à cette année 2019 pour régulariser sa situation. En attendant, les 28 l’ont placé sur « liste grise ».
Sur la liste noire des paradis fiscaux établie par l’UE, Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières, déclare le 13 février au parlement européen : « Il n’y a qu’à voir le nombre de ministres des Affaires étrangères qui ont passé la porte de mon bureau depuis qu’elle a été mise en place ». C’est dire son impact sur les pays concernés.
Ahmed Rahhou se trouve être un fin connaisseur du système fiscal marocain. Avant sa démission de la CGEM en décembre dernier, le banquier présidait la commission de la compétitivité et l’environnement des affaires de l’organisation patronale. Il est aussi président de la commission des affaires économiques et des projets stratégiques au sein du CESE. « Je crois que Rahhou, de par son passé de banquier et de responsable auprès de la CGEM et du CESE, a un profil parfaitement adapté au nouveau cycle des relations Maroc-UE et aux nouveaux dossiers à gérer», affirme Gilles Pargneaux. À lui de convaincre désormais les instances européennes que le royaume respecte bien ses engagements en matière fiscale.