Human Rights Watch dénonce la politique de "répression" du Maroc

Comme chaque année, Human Rights Watch publie son bilan annuel sur la situation mondiale des droits de l'homme. Au Maroc, l'ONG note une recrudescence de la "répression" policière, des violations de droits et de libertés fondamentales et des discriminations.

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Crédit : AFP

La situation des droits de l’Homme au Maroc est sur la corde raide selon Human Rights Watch (HRW). Dans son rapport annuel, mis en ligne le 17 janvier sur son site, l’ONG dresse un bilan mitigé de la situation des libertés au Maroc. Sont principalement concernés : le droit de manifester, la liberté d’association, l’exercice des métiers de la presse, ainsi que le peu d’intérêt porté par les autorités à la question du genre.

Des manifestations réprimées, les associations muselées

Pour HRW, le Maroc « fait preuve de plus en plus d’intolérance à l’égard de la contestation publique ».  « Plusieurs cas de recours excessif à la force pour disperser des manifestations » ont été constatés par l’ONG lors des rassemblements des mouvements populaires du Rif et de Jerada. HRW évoque des cas de « répressions » en contradiction avec le discours des autorités qui affirment que leurs interventions se déroulaient « d’une manière compatible avec le respect des libertés fondamentales et de l’État de droit ».

Si le ministère d’Etat chargé des Droits de l’Homme du Maroc annonce que les services de sécurité n’ont dispersé que 3% des 17.511 manifestations en 2017, l’ONG estime avoir « documenté plusieurs cas de recours excessif à la force pour disperser des manifestations, ainsi que des arrestations de manifestants pacifiques pour des motifs tels que manifestation sans autorisation et agression de policiers».

Dans son rapport, HRW souligne également les difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs associatifs. Selon l’ONG, certains de ses membres ont « été fréquemment suivis par des voitures avec des hommes en civil à bord » alors qu’elle menait « des missions de recherche ».

HRW relève également le cas d’Amnesty International dont les missions de recherche font l’objet d’une  « interdiction de facto, en vigueur depuis 2015 […] en dépit d’un accès relativement libre de cette organisation au pays, depuis près de 25 ans ».  Même son de cloche pour l’Association marocaine des droits humains (AMDH), également concernée par des restrictions sur ses activités selon Human Rights Watch.

Rif et Jerada, même combat

HRW s’attarde dans son rapport sur les mouvements de contestation du Rif et de Jerada. Concernant le Hirak d’Al Hoceima, l’ONG constate que « plusieurs grandes manifestations pacifiques [ont eu lieu] jusqu’à ce qu’une vague de répression policière en mai 2017 se solde par l’arrestation de plus de 400 activistes ». L’organisme rappelle que 53 des manifestants arrêtés ont été jugés le 26 juin dernier dans un procès collectif lors duquel « le tribunal de première instance a rejeté les affirmations des accusés selon lesquels leurs aveux avaient été obtenus sous la torture et la contrainte, malgré des rapports médicaux apportant un certain soutien à leurs affirmations ».

A noter que le procès en appel de 42 des 53 condamnés du Hirak à Casablanca est en cours. Lors de la dernière audience, qui s’est tenue le 19 janvier, une dizaine d’entre eux ont boycotté le procès jugeant que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies. Pour rappel, 11 des 53 condamnés du groupe de Casablanca ont bénéficié d’une grâce royale. HRW rappelle également qu’au total 188 activistes du Hirak ont bénéficié de cette grâce, «mais parmi eux, aucun leader».

En ce qui concerne les soulèvements dans l’ancienne cité minière de Jerada, HRW souligne dans son rapport que les autorités ont répondu aux manifestations « par une campagne de répression allant bien au-delà d’un effort visant à traduire en justice des manifestants considérés violents ». « Entre le 14 mars et le 31 mai, les autorités ont arrêté et mis en accusation au moins 69 manifestants à Jerada. Quatre leaders de la manifestation ont été condamnés à des peines allant de trois à neuf mois de prison », note également l’ONG.

Des avancées en politique migratoire, mais….

Dans son bilan mondial 2019, l’association pointe aussi la « répression à grande échelle de milliers de migrants, demandeurs d’asile et réfugiés subsahariens sans procédure régulière ». Un phénomène déjà signalé en septembre par Amnesty International. Le rapport dénonce les « raids » effectués au nord du pays contre des migrants subsahariens rassemblés et « emmenés dans des villes de l’intérieur du pays ».

A noter que dans un entretien accordé  à l’agence de presse espagnole EFE, le directeur de l’immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, Khalid Zerouali affirmait que ces arrestations ne concernent que « les organisateurs de la traite humaine ». Le responsable assurait également que les candidats à l’émigration clandestine « ne sont pas emprisonnés ».  HRW rappelle en outre dans son rapport que « 745 personnes d’origines subsahariennes » ont eu accès à des cartes de réfugiés et des permis de résidence d’une année entre 2013 et 2017.

L’ONG revient également sur l’affaire Hayat, du nom de cette étudiante de 20 ans tuée en pleine mer le 25 septembre 2018. Le go-fast à bord duquel elle tentait de rallier illégalement l’Europe avec d’autres passagers a essuyé les tirs de la Marine royale marocaine. HRW pointe notamment le fait que les conclusions de l’enquête sur cet incident n’ont pas encore été divulguées.

Liberté d’expression en berne

L’ONG revient sur la condamnation de Soufian al-Nguad à deux ans de prison pour incitation à l’insurrection, propagation de la haine et insulte au drapeau et aux symboles du Maroc après avoir « critiqué les circonstances du décès de Hayat Belkacem sur Facebook et encouragé à manifester en protestation».

Le cas d’Elmortada Iamrachen est également évoqué. Cet activiste, l’un des porte-parole du Hirak, a été condamné en 2017 pour incitation et apologie du terrorisme dans des publications Facebook. Sa condamnation a été prononcée sur « la base d’aveux à la police selon lesquels il avait cherché, à travers ces publications, à inciter les lecteurs à commettre des actes terroristes » note HRW. Des aveux que l’intéressé rejette et qui auraient été « obtenus sous la contrainte ».

Le genre et l’identité toujours discriminés par le juridique

La discrimination sur les questions de genre et d’identité reste prégnante au Maroc selon le bilan 2019 de HRW, qui s’attarde sur la situation des personnes LGBT. L’article 489 du Code pénal prévoit toujours des peines de prison de six mois à trois ans pour tout « acte impudique ou contre nature avec un individu du même sexe ». 

HRW dénonce aussi des « dispositions discriminatoires pour les femmes » dans le Code de la Moudawana, notamment en matière de succession, de procédures de divorce et de mariage avec des mineurs. « Les juges permettent de tels mariages régulièrement », note l’ONG. Celle-ci déplore également la pénalisation de l’adultère, y voyant « un impact discriminatoire en matière de genre », à l’encontre des femmes.

Des flous juridiques sur lesquels la nouvelle loi sur les violences faites aux femmes, entrée en vigueur après l’été 2018, reste incomplète. « Elle n’énonce pas les obligations de la police, des procureurs et des juges d’instruction dans les affaires de violence conjugale, ni ne finance des centres d’hébergement pour femmes»relève HRW.