Le malaise. « L’interview que le gouvernement égyptien ne veut pas voir à la télévision » a bel et bien été diffusée dimanche soir par CBS. Lors de son déplacement à New York en novembre dernier, pour assister à l’Assemblée générale des Nations unies, Abdel Fattah Al-Sissi avait accepté d’accorder un entretien à la prestigieuse émission « 60 minutes » de la chaîne américaine. Le président égyptien n’a pas tardé à se rendre compte qu’il n’a fait que se tirer une balle dans le pied. Il a d’ailleurs tenté d’empêcher sa diffusion, par le biais de son ambassade à Washington, en vain.
La bande-annonce de l’émission, révélée le 4 janvier dernier, annonçait déjà la couleur. On comprend dès lors pourquoi l’Égypte voulait la déprogrammer. Embarrassé par les questions du journaliste Scott Pelley, Al-Sissi a essayé tant bien que mal d’y répondre. Sa sueur, omniprésente, pendant l’entretien n’a pas arrangé les choses.
L’air étouffé, le président égyptien a reconnu qu’il existait une coopération militaire entre son pays et Israël dans la région du Sinaï. « L’Air Force doit parfois traverser une partie d’Israël. C’est pourquoi notre coordination est telle qu’elle est avec les Israéliens » a justifié le président égyptien. Lorsque le journaliste lui demande si cette coopération était la « plus étroite qui n’ait jamais existé entre les deux pays », Sissi répond : « c’est exact ». « Nous avons un large éventail de coopération avec les Israéliens », a-t-il affirmé à CBS.
En février, les forces de sécurité égyptiennes avaient lancé une vaste campagne contre l’EI dans le Nord-Sinaï, où les jihadistes ont mené de très nombreuses attaques meurtrières, rappelle l’AFP. Le même mois, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait assuré que son pays ferait « tout » pour se défendre, après la publication d’un article du New York Times faisant état de dizaines de frappes israéliennes contre des jihadistes dans le Sinaï, souligne encore l’agence de presse française.
« Pas de prisonniers politiques »
Outre la coopération avec l’État hébreu, Al-Sissi a été interrogé sur le nombre de détenus politiques emprisonnés en Égypte. « Nous n’avons pas de prisonniers politiques (…) Nous essayons de contrer des extrémistes qui imposent leur idéologie à la population », a-t-il nié devant les caméras de CBS. Le journaliste en face essaie alors de le faire réagir sur le chiffre de 60.000 détenus politiques avancé par Human Rights Watch (HRW). « Je ne sais pas d’où ils tiennent ce chiffre« , a-t-il rétorqué.
« Monsieur le président, j’ai parlé à plusieurs personnes de votre pays qui refusent de vous appeler président parce qu’ils disent que vous êtes un dictateur militaire« , a encore demandé le journaliste. « Je ne sais pas à qui vous avez parlé, mais 30 millions d’Égyptiens étaient dans la rue pour s’opposer au régime à l’époque. Je me devais de répondre à leur souhait« , a-t-il estimé.
Autre dossier embarrassant pour le président égyptien : le massacre de 800 partisans des Frères musulmans sur la place Rabia El Adaouïa, du 14 au 16 août 2013. « En avez-vous donné l’ordre ?« , demande le journaliste Scott Pelley. « Permettez-moi de vous poser une question. Suivez-vous de près la situation en Égypte ? D’où obtenez-vous vos informations ? Des milliers de personnes armées ont participé au sit-in pendant plus de 40 jours. Nous avons essayé tous les moyens pacifiques de les disperser« , tente-t-il de justifier.
Citant un rapport de HRW, qui accuse le pouvoir égyptien d’avoir fait appel à des « troupes blindées, des bulldozers, des forces terrestres, des tireurs d’élite, des policiers et du personnel de l’armée » pour faire taire les protestations, Scott Pelley demande au chef d’État si tout cela était « nécessaire à la paix et à la stabilité de l’Égypte ». « Vous citez le rapport de HRW comme une affirmation solide, ce qui n’est pas vrai. Il y avait des policiers et ils essayaient d’ouvrir des couloirs pacifiques pour que les gens puissent rentrer chez eux en toute sécurité« , a alors répondu Abdelfattah Al-Sissi.
En Égypte, l’interview a été tournée en dérision notamment par l’animateur vedette de la chaîne télévisée Mekameleen. La posture du président, sa transpiration excessive ainsi que ses réponses y sont tournés en dérision.