Le multilatéralisme à l’épreuve du nationalisme. Les représentants de quelque 150 États ont adopté, le lundi 10 décembre à Marrakech, le pacte mondial des Nations unies pour des « migrations sûres, ordonnées et régulières ». Une étape intermédiaire avant que le texte soit soumis à un ultime vote à l’Assemblée générale de l’ONU, le 19 décembre prochain. Ce document vise à « améliorer la coopération en matière de migration internationale » en recensant vingt-trois propositions permettant aux pays signataires de faire face au défi migratoire.
Ne faisant pas l’objet d’une ratification, le pacte de Marrakech (PMM) a été adopté par acclamation orale par l’ensemble des États présents. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, élu président de la conférence intergouvernementale pour adopter ce pacte mondial, s’est tout d’abord exprimé sur le défi que suscite la migration : « C’est parce que nous sommes plus que jamais concernés par la thématique migratoire que notre interdépendance est réelle et notre dépendance partagée ». Le chef de la diplomatie marocaine a également mis l’accent sur l’importance du multilatéralisme : « Nous sommes incontournables les uns pour les autres », a-t-il estimé.
Coopération internationale en faveur des migrants
La migration, qui pour la première fois fait l’objet d’un pacte mondial, « touche le Maroc, l’Afrique, mais aussi les autres pays », souligne Nasser Bourita. « Elle interpelle chacun, mais la différence ne signifie pas l’indifférence », poursuit le chef de la diplomatie marocaine. La conférence intergouvernementale pour adopter le pacte de l’ONU est celle de « l’action ferme » entre les « intérêts des Etats et les intérêts des migrants » visant à « l’harmonie entre les Etats » a-t-il renchéri.
« Ce moment représente le produit d’inspiration résultant d’efforts minutieux », déclare de son côté le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors de l’ouverture la conférence. Le document de 41 pages ambitionne de faciliter les flux migratoires et fait office de référence internationale dans le domaine de la migration et de sa gestion. Parmi les objectifs communs formulés, il y a ceux qui expriment la volonté de sauver des vies et de mettre les migrants à l’abri du danger. Les pays membres signataires du pacte onusien se sont par exemple engagés à coopérer pleinement pour que les libertés fondamentales soient garanties aux réfugiés et aux migrants.
Les signataires du pacte de Marrakech devront également créer des conditions pour permettre aux communautés et aux individus de vivre en sécurité et dans la dignité au sein de leur propre pays. L’une des propositions du texte interdit ainsi les détentions arbitraires et n’autorise les arrestations qu’en dernier recours. Aussi, les pays membres devront prendre les mesures nécessaires pour procurer aux migrants des papiers d’identité durant toutes les étapes de leur migration.
Chiffon rouge brandi par les populistes
Au fil de ces dernières semaines, cette initiative onusienne a suscité la controverse. Loin de faire l’unanimité, le document est devenu un chiffon rouge brandi par les mouvements nationalistes et populistes européens, faisant également l’objet de nombreuses fausses rumeurs. « Nous ne devons pas succomber à la peur ou aux faux narratifs », a ainsi déclaré Antonio Guterres.
Un constat, appuyé la veille, par la représentante spéciale des Nations unies sur les questions migratoires, Louise Arbour. « Il y a beaucoup d’informations erronées qui ont circulé et qui ont été retenues sur le contenu du pacte », a-t-elle expliqué, lors d’une conférence de presse à quelques heures de l’adoption du document par les États membres. « Il ne contient aucun texte juridiquement contraignant. Il permettra aux États de faire la différence entre migrants en situation régulière, et ceux en situation irrégulière tout en prenant en compte les différents aspects de la loi ».
Le pacte avait été négocié dans une quasi-indifférence de février à juillet 2018. À ce moment-là, les 191 l’avaient validé sans réserve à New York, à l’exception des États-Unis de Donald Trump qui s’étaient retirés près d’un an avant l’élaboration du document. Ont alors suivi plusieurs pays d’Europe centrale, mais aussi l’Australie, Israël, ou encore la République dominicaine. « Le texte a été rédigé dans un langage clair, limpide et on a eu de cesse de réitérer un certain nombre de points qui y sont concernés. Ceux qui les ont ignorés, ou feignent de le faire, se sont abstenus de le lire », tranchait Louise Arbour.
A l’épreuve des fake news
Depuis plusieurs semaines, l’Europe occidentale se déchire autour de cette question. Plusieurs gouvernements et mouvements politiques jugent qu’un tel pacte pourrait entraver les souverainetés nationales. « Ce document n’est pas contraignant », a martelé à l’envi Louise Arbour. « Il permettra aux États de faire la différence entre migrants en situation régulière, et ceux en situation irrégulière tout en prenant en compte les différents aspects de la loi ».
En France, le document a fait l’objet de fake News. La Suisse a annoncé le gel de sa décision la reportant à une date ultérieure et la Belgique a également connu de vives batailles au sein de son Parlement. Présent à Marrakech, Charles Michels, Premier ministre belge, a expliqué que sa présence à Marrakech témoigne d’un « acte fort » malgré les réticences du Parlement.« Nous avons connu, en Europe, des débats vifs avec une démarche visant à propager mensonge et contre-vérité, tout en encourageant un repli sur soi égoïste ».
Le ministre marocain des Affaires étrangères a quant à lui demandé à ce « que l’Europe adopte une démarche claire par rapport à la migration. » « Nous avons bien vu aujourd’hui que la présidence de l’Union européenne n’est pas là », a-t-il expliqué. Plus d’un tiers des pays membres de l’UE ont fait défaut ce jour-là à Marrakech. « L’Europe doit avoir une décision responsable. La solution de facilité serait de dire : “gérons cette question avec les pays d’origine et de transit’’ », a-t-il poursuivi, tout en rappelant l’attachement du Maroc à la « coopération et au multilatéralisme ».
La migration : « un acte de choix », pas « de désespoir »
En ce qui concerne le suivi et l’évolution des progrès des pays signataires au niveau local, national et régional, l’ONU mettra en place un système de suivi. Le Forum d’examen des migrations internationales sera ainsi la principale structure intergouvernementale permettant aux Etats signataires du PMM de débattre et de s’informer de leurs progrès respectifs. Cette rencontre aura lieu tous les quatre ans à partir de 2022.
Antonio Guterres appuie ses propos en chiffres en affirmant que « plus de 80% des migrants dans le monde bougent entre les pays d’une manière régulière et ordonnée ». Toutefois, la migration clandestine a « un coût terrible », puisqu’elle mène vers d’insupportables drames humains. « Plus de 60.000 migrants sont morts lors de leur migration depuis l’année 2000. C’est une source de honte collective », déplore le secrétaire général des Nations unies.
Le responsable onusien précise que les migrants « envoient chez eux le triple du montant de l’aide publique au développement, même si c’est dans leurs nouvelles communautés que les migrants dépensent 85% de ce qu’ils gagnent ». « Je connais bien le concept de liberté et de circulation pour chercher un emploi », a quant à elle, estimé la chancelière allemande Angela Merkel. Présente à Marrakech, elle a évoqué le vieillissement de la population en Allemagne et considéré la migration comme « un gage de prospérité ».
« La migration devrait être un acte de choix et jamais de désespoir », souligne le secrétaire général de l’ONU. Antonio Guterres rappelait que derrière chaque « nombre, il y a une personne, une femme, un enfant, un homme, dont le rêve est comme celui de n’importe qui d’entre nous : une opportunité, de la dignité et une vie meilleure ». Les femmes représentent la moitié des 260 millions de migrants dans le monde.
Louise Arbour, la secrétaire générale de la conférence intergouvernementale sur la migration concluait en insistant sur la « nécessité de changer de discours », et en espérant que les pays « réussiront à mieux ancrer le débat sur la migration dans un meilleur contexte, car c’est une belle histoire globale et internationale ».