L’interception par la Marine royale d’un go-fast transportant des candidats à l’émigration a causé la mort d’une Marocaine de 20 ans le 25 septembre. Que disent les premiers éléments de l’enquête ?
Je préfère qu’on laisse l’enquête se dérouler complètement avant de se prononcer. Cette opération nous permettra d’élucider les tenants et les aboutissants de cette affaire. Ça nous permettra aussi, je l’espère, d’expliquer ce phénomène émergent de go-fast qui transportent des migrants, avec toute cette campagne sur les réseaux sociaux qui font parfois même la publicité de traversées gratuites. Jusque là, les go-fast étaient utilisés dans le trafic de drogue, mais ce que nous avons vu ces derniers temps nous interpelle.
Quels moyens le Maroc met-il en place pour lutter contre ce « phénomène émergent » ?
Le Maroc, depuis plusieurs années, a installé un dispositif le long du littoral nord. Il a permis pendant une décennie de tarir pratiquement les flux migratoires vers l’Europe. On était entre 2004 et 2015 à une diminution de 93 % des traversées. Ce dispositif a donc fait ses preuves. Sauf qu’avec les évènements de la région, la situation en Libye, la crise migratoire qu’a connue l’Europe qui renforce les facteurs d’attraction, les flux ont été redirigés vers cette route ouest-méditerranéenne qui avait pratiquement été fermée. Il y a donc une reprise de pression sur ce dispositif.
Le Maroc a-t-il besoin d’une assistance face à cette pression ?
Pendant toutes ces années, le Maroc a fait le travail seul, car c’est un État responsable, désireux de contribuer à la sécurité du pourtour méditerranéen. Le Maroc est d’ailleurs le seul État à avoir un tel dispositif en Méditerranée. Il nous permet en plus de nous prémunir de tout ce qui pourrait venir du nord comme menace.
Le Maroc est outre l’initiateur du Processus de Rabat (2006, NDLR). C’est la première fois que les pays d’origine, de transit et de destinations se sont mis autour d’une table avec un plan d’action. Nous avons fait nos devoirs dans ce cadre et nous n’avons pas attendu qu’on nous assiste pour le faire.
Aujourd’hui, ce que nous disons, c’est qu’il y a un regain d’activité sur cette route, que nos moyens sont mobilisés et qu’on ne peut pas faire plus que ce que l’on fait actuellement. Ce que nous voulons, c’est donc un appui budgétaire pour assurer un bon fonctionnement de ce dispositif.
Êtes-vous en mesure de chiffrer l’appui que vous demandez ?
C’est difficile de chiffrer. Il y a aussi un appui technique d’échange d’expérience, mais c’est surtout un appui qui nous permettrait de couvrir nos acquisitions de matériel et de renforcer nos capacités. Si on parle uniquement du littoral nord, nous sommes à plus de 200 millions d’euros de dépense par an. Ce que l’on demande c’est un début d’aide. Il y a des discussions dans ce sens, l’Union européenne est un partenaire stratégique. Nous travaillons pour arriver à un accord pour que le Maroc puisse être accompagné et soutenu dans ses efforts.
Comment se passent ces discussions avec les partenaires européens ? Quand l’UE a proposé des centres de rétention de migrant hors de ces frontières, le Maroc a répliqué qu’il n’avait pas vocation à être le « gendarme de l’Europe »…
Je ne pense pas que les centres sont la solution aux problèmes de migration. Le Maroc a adopté une stratégie initiée par Sa Majesté en 2013, car contrairement à beaucoup d’autres pays, le pays n’a pas peur d’intégrer le maximum de migrants. Nous avons ainsi accepté 85 % des demandes déposées. Nous estimons que la migration n’est pas une menace, mais une source de richesse et que ce n’est pas en installant des centres de rétention que l’on va régler le problème. Il faut au contraire agir sur les facteurs d’attractions, qui sont notamment véhiculés par Internet et qui sont tellement forts en Europe qu’ils dépassent même les facteurs de répulsions ou de sédentarisation en Afrique. Il va donc falloir coordonner les stratégies sur les deux rives. Le processus de Rabat est un socle solide sur lequel il faut capitaliser.
Le Maroc est déjà pionnier en termes d’approche d’humaniste en intégrant les migrants, il faut continuer à travailler pour aider l’Afrique en termes de développement, donner de l’espoir à la jeunesse africaine. Il faut en même temps favoriser les voies d’émigration légales. Ce n’est que comme ça que l’on peut freiner les vagues migratoires.
Sur « l’approche humaniste », le Maroc a effectivement annoncé qu’il régulariserait 24.000 personnes en 2018, après une première phase ayant conduit à la régularisation de 23.000 personnes en 2014. En revanche, le déplacement de migrants depuis le Nord vers le Sud du pays a été dénoncé comme « illégal » par plusieurs associations.
À chaque fois qu’il y a des interceptions dans le Nord, nous avons toujours procédé à la réinstallation de ces migrants loin du danger. Pour la plupart, ils sont soit séquestrés dans des maisons par des réseaux de trafic, soit ils sont dans les forêts. Je suis étonné que tout le monde s’insurge. Nous protégeons ces migrants en ne les laissant pas s’installer dans les forêts, car ces opérations ont pour objectif de ne pas laisser les migrants en proie aux réseaux de trafic. Le Maroc les transporte dans des cars de passagers, dans le respect total de leur dignité et des lois. Nous estimons que notre pays dispose de mécanismes si une personne se sent injustement traitée : la justice, mais également le CNDH qui a de très bonnes relations avec les associations de migrants. S’il y a des recommandations de la justice ou du CNDH, nous sommes prêts à coopérer.
Je dois également préciser que parmi les migrants sur le territoire marocain, il y a une grande partie qui a accepté de s’installer chez nous et qui est la bienvenue. Il y a effectivement 50.000 régularisés, mais aussi ceux qui ne sont pas régularisés et qui ne sont pas dérangés parce qu’ils évoluent dans la société. Il y a également une partie pour qui l’aventure migratoire a pris fin, et nous travaillons avec l’OIM pour leur rapatriement : le ministère de l’Intérieur s’occupe des billets, l’OIM donne un pécule post-rapatriement. Depuis 2004, 22.000 personnes ont ainsi été rapatriées de manière durable, puisqu’elles sont réintégrées dans leur société. Malheureusement, il y a un troisième segment qui est sous l’emprise des réseaux et pour qui le but est de passer de force vers l’autre rive, sans respecter les lois et sans aucun respect de l’hospitalité marocaine. Nous ne pouvons pas accepter que les réseaux dictent leurs lois au Maroc, c’est pourquoi nous continuons à lutter contre eux.
Qui sont ces réseaux ?
Ce sont des réseaux de tous bords. On voit des Européens, des Africains, mais aussi des Marocains. Ils peuvent être petits ou avoir des ramifications internationales. Les réseaux de trafic transfrontaliers sont logistiques. Quand ils peuvent faire de l’argent dans la drogue, ils transportent de la drogue, quand c’est avec des migrants, ils transportent des migrants. C’est ce que l’on constate à la fois au Sahel et dans le pourtour méditerranéen. Ils ne sont pas orientés niche, ils sont orientés profit.
Lorsqu’il s’agit d’enquêter sur ces réseaux, comment se passe la coopération avec l’Espagne ?
L’Espagne est un partenaire avec lequel nous avons démarré cette coopération en créant en 2004 un groupe migratoire mixte. Au début, dans des circonstances où le phénomène migratoire prenait de l’ampleur, on se réunissait pratiquement une fois par mois. Depuis que nous avons atteint notre maturité, nous nous réunissons deux fois par an. Nous mettons tout sur la table, sans tabou. Le secret de la réussite d’une coopération c’est la bonne foi et un objectif commun. Et ça se passe très bien. Il peut y avoir des petites difficultés sur certains points, mais ce genre de mécanisme nous permet justement de les aplanir en toute transparence. Nous disposons de commissariats conjoints, d’un réseau d’officiers de liaison. Autant de mécanismes qui fluidifient l’échange d’information sans tomber dans la lenteur administrative, car les réseaux, eux, s’adaptent rapidement.
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