Le document, long de 21 pages, dresse un état des lieux des inégalités économiques, dépeint les inégalités sociales, celles entre femmes et hommes et donne ses recommandations pour lutter contre cette problématique, tout en définissant les domaines d’actions prioritaires. Si au Maroc – comme partout dans le monde – la pauvreté monétaire a reculé (le taux est passé de 15,3% en 2001 à 4,8% en 2014), « la proportion des personnes concernées par la pauvreté multidimensionnelle et/ou la vulnérabilité demeure élevée« , commence le rapport qui affirme que sur le plan économique, les inégalités « se situent à un niveau supérieur à la moyenne des pays comparables« . Un constat encore plus « préoccupant » lorsque « les multiples dimensions des inégalités sont prises en considération, notamment, l’aspect social, l’aspect genre et les disparités territoriales« . Pour le CESE, « l’intolérance par rapport aux inégalités devient de plus en plus élevée« , car les citoyens sont de plus en plus conscients de leurs droits et « expriment davantage leur insatisfaction, leurs besoins et leurs attentes« . Le Conseil évoque un « sentiment de frustration« , illustré par « le fait que le taux de la pauvreté subjective qui est aux alentours de 45,1% en 2014, dépasse significativement le taux de pauvreté monétaire qui se limite à 4,8%« .
Les réseaux sociaux, levier de la prise de conscience des populations
Le focus mentionne également une enquête du Haut commissariat au plan datant de 2014 dans laquelle, près de 64% des personnes interrogées estiment que les inégalités ont augmenté au Maroc, contre seulement, 7,8% qui pensent que celles-ci ont régressé. « Ces éléments font, ainsi, ressortir la faible capacité de l’environnement économique, social, institutionnel et politique à répondre aux attentes de larges franges de la population et à améliorer leurs conditions de vie« , commente le CESE. L’essor de l’utilisation de l’espace virtuel et la prolifération des réseaux sociaux, notamment chez les jeunes, a également contribué au changement d’attitude des citoyens vis-à-vis des inégalités. « Dans un contexte où la participation politique demeure modeste et où la confiance dans les institutions d’encadrement et d’intermédiation s’est affaiblie, le monde numérique est de plus en plus exploité en tant qu’espace libre d’expression et de débat, autour de sujets qui intéressent la société, notamment, la question des inégalités« .
Un ascenseur social « défaillant »
Le CESE observe également l’inefficacité, aux yeux de larges franges de la population des mécanismes de mobilité sociale. Un constat expliqué par « l’affaiblissement de la méritocratie et la défaillance des ascenseurs sociaux classiques, tels que l’accès équitable à l’emploi, l’égalité des chances ou encore une éducation de qualité pour tous« . Le CESE cite des chiffres de 2013 publiés par le HCP sur la mobilité inter-générationnelle, selon lesquels seulement 35% des individus de 35 ans et plus ont connu une mobilité sociale ascendante par rapport à leur parents, les autres ayant plutôt stagné ou bien régressé. « Bien que le rapport entre la dépense annuelle/habitant des 10% les plus aisés et celle des 10% les plus pauvres ait régressé depuis 2007, celui-ci demeure important« , estime le focus du CESE, tout en rappelant que « les inégalités de revenu et de dépenses sont à relier, notamment, aux inégalités d’accès à l’emploi et aux opportunités d’affaires« . Pour illustrer cela, le CESE s’appuie sur les chiffres du HCP sur la situation du marché du travail. Ainsi, les jeunes sont l’une des catégories qui souffrent le plus du chômage, avec un taux de 26,5% en 2017, contre 10,2% comme moyenne nationale. Cette proportion dépasse même 40% parmi les jeunes en milieu urbain.
L’éducation et la santé profitent – surtout – aux riches
Le CESE regrette que « l’état du système éducatif actuel pénalise la mobilité sociale ascendante et l’aspiration d’échapper à la pauvreté et à l’exclusion sociale » et rappelle que « plus de 55% de la pauvreté multidimensionnelle est expliquée par les déficits d’éducation des adultes et la non-scolarisation des enfants« . L’aspect inégalitaire de l’éducation est, selon le Conseil, « amplifié par la dichotomie école publique / privée, dans le sens où les déficits dont souffre le secteur éducatif public, jouent au détriment des classes pauvres fréquentant essentiellement l’école publique et leur offre de faibles opportunités de mobilité sociale ascendante« . Le CESE s’inquiète même du fait que l’appel à l’instauration de frais d’enregistrement dans l’enseignement public et le poids ascendant du secteur privé « pourraient nuire davantage à la cohésion sociale, dans la mesure où ils accentuent la fracture sociale ».
Sur la santé, le CESE affirme que les disparités en termes d’accès à des soins de qualité demeurent « importantes« , même si des indicateurs de santé tels que, l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance, la réduction de la mortalité maternelle ainsi que celle de la mortalité infanto-juvénile, témoignent d’avancées certaines. Par exemple, la mortalité maternelle en milieu rural est deux fois et demie plus élevée qu’en milieu urbain, et l’assistance à l’accouchement pour les 20% des femmes les plus riches est presque 3 fois supérieure à celle des 20% les plus pauvres. Le Conseil indique également que le ratio du nombre de médecins pour 10 000 habitants est à peine de 6,2 et ne satisfait pas aux normes de l’Organisation mondiale de la Santé. L’offre de soins se trouve « aggravée par sa forte concentration au niveau de certaines régions (22% des professionnels publics et près de 50% de l’offre privée sont concentrés dans les régions de Casablanca-Settat et de Rabat –Salé-Kénitra)« .
Les femmes, maillon faible de la société
« Bien que le Maroc se soit progressivement doté, depuis le début des années 2000, d’une législation visant l’égalité des droits entre femmes et hommes et en dépit de l’affirmation par la Constitution d’une volonté de lutter contre les inégalités et discriminations à l’égard des femmes, la situation sociale des femmes marocaines n’évolue pas de manière satisfaisante, voire même, régresse dans certains domaines« , alerte le rapport. Cela se manifeste par « la persistance du mariage des mineurs« , la situation « particulièrement difficile » des femmes « cheffes de ménage », des femmes seules, des mères célibataires et des détenues, et la faiblesse de la couverture sociale des femmes veuves ou divorcées. Aussi, peu de femmes bénéficient d’une pension de retraite. « Elles représentent actuellement 16% de l’effectif des retraités à la CNSS et leur pension moyenne de retraite est de 1 865 dirhams contre 1 935 pour les hommes« , note le rapport.
Des régions encore trop inégales devant la richesse et l’enrichissement
Jusqu’à 2015, 3 régions sur 12 ont réalisé 58,3% du PIB du Maroc, à savoir, Casablanca-Settat (32,2%), Rabat-Salé-Kénitra (16%) et Tanger-Tétouan-Al Hoceima (10,1%). Cela témoigne, d’après le CESE, d’une « concentration géographique poussée de la création de richesse« . Sur la période 2008/2015, l’investissement des entreprises et établissement publics (EEP) a représenté 55% de l’investissement public, 36% dans le budget général et seulement 8% pour les collectivités territoriales. « Les régions de la dorsale Tanger-El Jadida concentrent l’essentiel de l’investissement public« , estime le rapport, qui s’inquiète de l’existence de disparités flagrantes entre les régions, au vu de la répartition territoriale des entreprises. A fin 2017, 3 régions sur 12 s’accaparaient 55% des entreprises au Maroc, « ce qui impacte négativement la croissance et l’emploi des régions les moins attractives« . Pour le Conseil, « ces dernières continuent de souffrir de la faiblesse des ressources fiscales propres, vu l’étroitesse de la base fiscale locale, et par conséquent, entretiennent une forte dépendance par rapport aux transferts de l’Administration centrale« .
Un appel à « un engagement plus ferme des pouvoirs publics »
Le CESE recommande de « renforcer la gouvernance pour rétablir la confiance du citoyen dans la capacité des institutions et des politiques publiques à résorber les inégalités« . Cela passe par « un engagement plus ferme des pouvoirs publics, appuyé dans la pratique par une application encore plus rigoureuse de la loi, ainsi que le renforcement et la généralisation du principe de reddition des comptes, en vue de lutter contre les privilèges, les passedroits, les rentes de situation et la corruption« . Le Conseil préconise également de « relancer l’ascenseur social à travers une éducation moderne, de qualité et accessible à tous« . Il appelle à un « engagement fort pour un recentrage des efforts autour de la mise à niveau de l’école publique, afin de l’ériger en tant que lieu d’apprentissage de qualité, mais également en tant qu’espace de mixité sociale« , l’instauration d’un « équilibre entre les connaissances et le savoir-être (soft-skills) au niveau du contenu des programmes au sein de l’école publique, afin de doter l’ensemble des élèves/étudiants, des mêmes armes cognitives, quel que soit leur milieu d’origine« , ainsi qu’à une « répartition géographique équilibrée des écoles, des universités et des instituts supérieurs de formation pour lutter contre les inégalités d’accès à une formation de qualité entre les régions et les milieux de résidence« .
Sur les inégalités économiques, le CESE recommande de réformer la fiscalité « afin d’assurer une distribution plus équitable de la charge fiscale en élargissant la base fiscale à travers, la lutte contre la prolifération de l’informel et la poursuite de l’amélioration des capacités de recouvrement de l’impôt, via notamment, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales« . Il prêche également pour « l’accélération de la réforme de ciblage des subventions pour qu’elles puissent profiter aux plus nécessiteux« , et à la « relance du dialogue social en vue du parachèvement de l’universalité du système de protection sociale et de l’élimination des mesures discriminatoires et des situations de dé-protection des citoyens« . Le CESE prône l’éradication des « pratiques discriminatoires à l’égard des femmes, en prévenant et en luttant contre les violences qui leur sont faites, et en renforçant leur participation dans la vie économique, sociale, politique et culturelle« . Cela passe notamment par « la lutte contre la dégradation du taux d’activité des femmes et assurer les conditions réglementaires et matérielles nécessaires qui permettent d’avoir un environnement favorable à la promotion de l’insertion de la femme dans la vie active« , l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme national d’action pour la lutte contre le mariage des mineurs, ainsi que « le maintien des droits à la couverture médicale des femmes ayant des enfants à charge après dissolution du mariage ».
Focus Inégalités – CESE by OmarKabbadj on Scribd
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