Gas to Power: les choix stratégiques du projet de loi déjà remis en question

L'avant-projet de loi pour réguler le secteur gazier qui naitra du plan "Gas to Power" fait débat chez les acteurs amenés à y jouer un rôle. D'ici 2021, l'usine à gaz est pourtant censée démarrer pour garantir au Maroc son indépendance énergétique vis-à-vis du gaz algérien.

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Une centrale à gaz comme celles qui seront alimentées au Maroc par du gaz nouvellement importé. Crédit : CC : Peoplepoweredbyenergy

La période des commentaires sur l’avant-projet de loi sur le secteur aval du gaz naturel est close. Présenté en décembre 2017 par le ministre de l’Energie Aziz Rebbah, ce texte vise à réguler les activités de la chaine gazière qui devrait voir le jour dans le cadre du projet marketé « Gas to Power », lancé en 2014 par le roi Mohammed VI.

Objectif du plan : augmenter la part du gaz naturel dans le mix énergétique marocain, pour réduire la part du charbon tout en réduisant la dépendance énergétique du Maroc vis-à-vis de l’Algérie.

Depuis 2011, le Maroc importe en effet 1,4 milliard de mètres cubes de gaz par an depuis l’Algérie pour alimenter ses deux centrales électriques de Tahaddart et Aïn Beni Mathar.

Ce contrat d’approvisionnement, en vertu duquel la moitié du gaz algérien est perçue au titre de royalties pour le passage du gaz d’Algérie vers l’Espagne dans le Gazoduc Maghreb Europe (GME), prend fin en 2021.

C’est justement à cette date que doit théoriquement commencer à opérer un terminal d’importation de gaz naturel liquéfié à Jorf Lasfar, « afin de satisfaire les besoins du pays qui sont estimées à 5 milliards de mètres cubes par an« , prévoit le plan.

Importation, regazéification, stockage, transport, commercialisation… autant de nouvelles étapes du secteur aval de la chaine gazière que le ministère de l’Énergie entend réguler par cette loi.

Tarifs, obligation de service public des acteurs impliqués ou encore régulation des monopoles pour le transport et la distribution… La loi prévoit une série de mesures censées « donner un fort signal incitatif aux investisseurs, en particulier étrangers, pour développer l’infrastructure, équipement et réseau de transport et de distribution très peu développé aujourd’hui« , relève la note de présentation de l’avant-projet de loi.

Commentateurs impliqués

Ce texte a été soumis aux commentaires publics via le Secrétariat général du gouvernement. L’identité des commentateurs renseigne sur l’intérêt que portent les acteurs du secteur aux enjeux de cette loi: un consultant juriste auprès de l’agence de développement allemande GIZ, un consultant spécialisé dans le domaine de l’énergie, un ancien conseiller à la direction de l’ONE (actuel ONEE), un business developer chez Engie, le gestionnaire du fonds d’investissement marocain Oil & Gas Investment Fund (OGIF), Sound Energy, la junior britannique qui fouille le sol de l’Oriental en quête de poches de gaz exploitables.

« Quand on parle de ‘Gas to Power’, c’est bien que le gaz va servir à la production d’électricité. Or, le secteur ‘power’ en aval, est très régulé, avec en l’occurrence un acteur unique: l’ONEE. Je me demande donc si on a vraiment besoin d’avoir un texte aussi élaboré pour un secteur qui, in fine, est figé, connu, et maitrisé« , nous explique Tayeb Amegroud, senior fellow à l’OCP Policy Center, expert en planification énergétique et ancien conseiller à la direction générale de l’ONE.

Il précise: « C’est un texte qui se veut plutôt souple, qui veut encourager la multiplicité des acteurs et des intervenants dans ce secteur, mais en aval, il n’y a qu’un seul acheteur, l’ONEE qui évolue dans un cadre rigide. Est-ce qu’il faut vraiment plusieurs acteurs pour fournir un seul client? Si on s’inscrit dans une perspective d’introduire aussi de la souplesse dans le secteur de l’électricité alors, oui, ça a du sens« .

Qui transportera le gaz au Maroc ?

« Nous allons prendre en compte les différentes remarques et commentaires constructifs. Nous sommes en train de les analyser, mais il semble qu’il y ait des échos concernant le système de transport du gaz« , nous déclare le ministre de l’Energie Aziz Rabbah. Un euphémisme.

La majorité des observateurs se penchent effectivement sur la Société nationale de transport du gaz (SNTG), une société privée que la loi créerait, pour assurer en situation de monopole le transport du gaz dans tout le Maroc, et dont l’État pourrait être actionnaire en apportant son gazoduc existant au capital (GME).

« On aura besoin d’un acteur du transport du gaz. Est-ce qu’il faut que ce soit une entreprise publique comme pour l’électricité ? Est-ce qu’il vaut mieux une gestion déléguée ? Toutes les formules sont bonnes« , se dédouane Aziz Rabbah qui a pourtant tranché dans la première mouture du texte.

Sur le débat public/privé, Omar Latifi, président d’Atlas Energy, s’interroge : « Quel est l’intérêt économique pour l’État de mettre les actifs dont il dispose au capital de la STGN, y compris le GME et ses participations en tant qu’ONHYM? Par ailleurs, si ces actifs deviennent la propriété de cette société, d’un point de vue juridique, il s’agit d’un transfert de propriété et non de concession. Les dispositions liées aux articles 10 et 11 doivent donc être revues pour préserver l’intérêt de l’État et maintenir une cohérence d’ensemble par rapport à l’esprit de concession« .

Sur la situation de monopole, « il est clair que de telles dispositions impacteront l’activité d’exploration au Maroc, car la vente de gaz devra se faire obligatoirement au distributeur au lieu que le producteur négocie directement avec les clients potentiels comme c’est le cas aujourd’hui. Or, le prix au consommateur final sera réglementé« , ajoute-t-il.

Et le gaz produit au Maroc ?

« ‘Les prix de vente du gaz naturel sont fixés conformément aux dispositions du titre II de la présente loi’. Cela est trop vague. De quel prix de vente parle-t-on ? Le prix de détail ou des prix de gros ? Cela signifie-t-il que les producteurs domestiques n’auront plus, à la différence de tous les producteurs dans une économie libérale, la liberté de fixer le prix de leur production?« , commente, non sans ironie, Mohammed Benslimane, gestionnaire d’Oil and Gas Investment Fund, le fonds marocain actionnaire de la Sound Energy qui dispose notamment de larges concessions pour l’exploration gazière dans l’Oriental et envisage de produire du gaz d’ici 2019.

« Les producteurs locaux de gaz devraient avoir le droit de commercialiser le gaz directement auprès de tous types d’utilisateurs finaux, y compris l’ONEE, les consommateurs industriels locaux et les acheteurs à l’exportation, et doivent pouvoir déterminer les conditions commerciales de ces ventes directement avec les acheteurs concernés », suggère d’ailleurs un commentaire signé Sound Energy.

Mohamed Benslimane s’inquiète aussi du monopole envisagé pour le transport du gaz. « Un tel monopole doit être régulé et des droits de type BOO [Build-Own-Operate, NDLR] pour les gazoducs reliant les champs gaziers domestiques au réseau national doivent être donnés aux producteurs domestiques afin de pouvoir évacuer leur production (comme cela est le cas actuellement), et/ou une obligation de type ‘Must carry’ doit être imposée à la future STGN« , écrit-il.

En septembre 2017, Advisory & Finance Group, la banque d’affaires qu’il préside, a en effet soumis une proposition entre 60 et 100 millions de dollars à Sound Energy pour financer son projet de pipeline devant lier son site de Tendrara au Gazoduc Maghreb-Europe, plus au Nord. Le texte de loi en l’état compliquerait donc les plans d’OGIF.

L’avant-projet de loi n’en est qu’à ses débuts dans le parcours législatif. « Pour un texte aussi crucial, on va prendre notre temps« , confirme d’ailleurs Aziz Rabbah. Sauf que l’échéance du contrat algérien approche à grands pas.

Outre le processus législatif pour réglementer le nouveau secteur, ce sont les infrastructures de « Gas to Power » qui se font attendre. « 2021, c’est demain. Et il est très peu probable que des infrastructures à même de satisfaire les besoins envisagés par ‘Gas to Power’ soient mises en place d’ici 2021. Je pense que les décideurs le savent, » note Tayeb Amegroud. L’éventualité d’une nouvelle reconduction du contrat d’approvisionnement algérien n’est donc pas exclue.

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