Alors que la Caisse marocaine des retraites (CMR) avait été récompensée fin octobre par l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) pour la qualité des services et le renforcement du système de gouvernance, la Cour des comptes ne semble pas avoir la même analyse de la situation.
Dans son rapport publié le 7 novembre sur son site internet, elle énumère les très nombreux problèmes structurels de l’organisme de retraite. L’instance dirigée par Driss Jettou appelle notamment à revoir l’architecture du régime et le mode de calcul des retraites.
Un régime trop généreux et un déficit qui plonge
Depuis 2014, la situation financière de la CMR se dégrade à vitesse grand V. Alors que le déficit était de 936 millions de dirhams en 2014, il a atteint 4,76 milliards de dirhams à fin de 2016 et devrait plafonner à 6,14 milliards de dirhams selon les prévisions pour 2018. Comment en est-on arrivé là ? La Cour des comptes avance plusieurs explications.
Premièrement, le régime est trop généreux. Avant 2016, il offrait une annuité de 2,5% du dernier salaire pour toute année de cotisation. Ce taux a été ramené à 2% depuis 2016. Cependant, l’élargissement de l’assiette de liquidation des pensions à la totalité de la rémunération décidée dès 1989 et l’important abattement fiscal dont bénéficient les pensions de retraite font que le taux de remplacement dépasse le dernier salaire perçu.
La Cour des comptes souligne que « dans les régimes de retraite à travers le monde, la liquidation se fait généralement sur la base du salaire moyen (…) au cours d’une période suffisamment longue. (…) Or dans le cas du régime des pensions civiles avant la réforme de 2016, la pension est liquidée sur la base du dernier salaire d’activité. Cette situation est à l’origine d’une disproportionnalité entre les cotisations payées et les pensions servies« . Ce déséquilibre est encore aggravé par « la tendance à la quasi-généralisation des promotions et avancements de grade dans l’administration à l’approche de l’âge de la retraite« .
Le poids de la démographie et des départs en retraite anticipés
À cela s’ajoute l’augmentation du nombre de retraités, qui évolue plus vite que celui des affiliés: « le rapport démographique est passé de 12 actifs pour un retraité en 1986, à 6 en 2000 et à 2,23 en 2016. Il devrait atteindre 1,74 en 2024 », indique la Cour des comptes. Parallèlement, l’effectif des affiliés a baissé de 1,73% entre 2014 et 2016, se situant à près de 650 000 personnes.
Une évolution qui s’explique en partie par la recrudescence du départ anticipé en retraite ces dernières années, avec plus de 8.000 départs enregistrés en 2016 contre 1.600 en 2013. Enfin, les allocations familiales payées par le régime, qui représentent environ 1,5% du total des pensions servies, finissent d’achever un système bancal et en fin de vie.
Si la Cour des comptes salue l’impact positif de la réforme paramétrique décidée par le gouvernement en 2016 qui permettra de réduire sa dette, elle « insiste sur le fait qu’au regard de l’ampleur des dysfonctionnements que connait le régime et leur caractère structurel, l’impact de ces réformes ne pourra être que de court terme. Le déséquilibre du régime persistera tant qu’il n’aura pas connu un processus de réforme en profondeur ».
Une gouvernance gangrenée par les conflits d’intérêts des administrateurs de la CMR
Sur la gouvernance de la CMR, la Cour des comptes dresse un constat sans appel et particulièrement alarmant: « la composition actuelle du conseil d’administration n’est plus à même d’en faire un espace de débat et de réflexion sur l’avenir des régimes de retraite gérés par la Caisse. D’après les PV de réunions, certains membres profitent de leur position d’administrateur pour défendre les intérêts des parties qu’ils représentent, et non la pérennité des régimes« .
Elle ajoute que « cette situation est d’autant plus ressentie que la composition du conseil ne prévoit pas encore d’administrateurs indépendants. Et le choix des membres se fait encore sur la base de leur qualité et non de leurs compétences et expertises. Ajouter à cela que le conseil n’a pas encore instauré la pratique d’évaluation de son action« .
Les magistrats dénoncent par ailleurs le fait que le conseil ne dispose pas encore d’une charte d’administrateur ni d’un code de déontologie prévoyant les situations de conflit d’intérêts.
Les recommandations de la Cour pour une réforme profonde
Pour la Cour, une réforme profonde est indispensable à la « viabilité du régime des pensions civiles« . Elle recommande d’unifier les règles de liquidation des pensions dans l’ensemble du secteur public, s’orienter vers la création d’un pôle public et vers une tarification des prestations tenant compte de l’évolution démographique, sociale et économique du pays. Les magistrats suggèrent également d’opter pour un taux de remplacement raisonnable et le service de pension à l’âge légal de départ à la retraite, s’orienter vers un système plafonné avec l’introduction d’une part de capitalisation afin que le poids de la retraite ne soit pas entièrement porté par les générations futures, et instituer des mécanismes de pilotage adaptés.
Il s’agit donc d’une réorientation en profondeur qui nécessiterait de revoir les principes fondateurs mêmes des mécanismes de retraites. La Cour conseille notamment d’élargir le dialogue autour de la réforme à toutes les parties prenantes, d’implémenter la réforme par étapes, selon une feuille de route qui pourrait faire l’objet d’une loi-cadre, de préserver les droits acquis de tous et le pouvoir d’achat des couches sociales les plus vulnérables, et de tenir compte de la pénibilité de certaines activités.
La Cour des comptes suggère en résumé de remettre à plat tout le système des pensions civiles, sans quoi le déficit de la CMR déjà très préoccupant pourrait mener à la faillite du système.
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