Tous les opérateurs économiques et banques marocaines attendent l’annonce du passage au régime de change flexible, à nouveau reportée le 29 juin. Décryptage des enjeux avec El Mehdi Fakir, expert-comptable.
Le 28 juin à 22 heures, les journalistes ont été avertis: la conférence de presse prévue par le ministre de l’Économie Mohamed Boussaïd et le wali de Bank Al Maghrib (BAM) Abdellatif Jouahri, pour annoncer la date d’entrée en vigueur et la largeur de la bande de fluctuation du dirham, est reportée. Alors que le suspens perdure, El Mehdi Fakir, expert-comptable, décrypte avec nous les enjeux du passage d’un régime de change fixe à un régime flexible.
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Telquel.ma: Le report de la conférence de presse de Boussaïd et Jouahri peut-il signifier que la réforme du régime de change n’est pas prête?
El Mehdi Fakir: La banque centrale n’hésite pas à reporter l’entrée en vigueur du régime flexible afin de régler les derniers ajustements. Elle attend sûrement la délibération du Conseil du gouvernement pour avoir une idée précise sur son appréciation de la réforme. J’estime que c’est un signe de sagesse et de responsabilité de la part du régulateur de préférer sortir une seule copie de la réforme, en dehors des délais politisés.
L’épisode de spéculation supposée de certaines institutions financières peut-il aussi être une raison de ce report?
On doit attendre les conclusions de l’enquête sur les opérations des banques qui ont eu lieu récemment pour comprendre s’il y a eu spéculation. La banque centrale, furieuse du comportement des banques qui ont provoqué une ruée vers les devises de certains opérateurs craignant une dévaluation du dirham, prend un temps d’ajustement. Mais il est encore prématuré de parler de spéculation puisque les opérations ont été initiées par des acteurs économiques. Seul le régulateur pourra juger s’il y a eu spéculation ou non.
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Le stock de devises, prérequis essentiel pour entamer cette réforme, s’effrite depuis quelques semaines. Quel peut en être l’impact ?
Le matelas de stock de devises est encore confortable, il devrait couvrir 6 mois d’importation. Sa taille peut avoir un impact sur le rythme de la mise en place de cette réforme : plus le stock de devises est confortable, plus les marges de fluctuation seront grandes. Bank Al Maghrib a dû servir aux banques quelque 44 milliards de dirhams entre mai et juin, soit 1,2 milliard de dirhams par jour, ce qui a diminué ce stock de devises et pourrait ralentir le rythme de l’application de la réforme.
Bank Al Maghrib répète qu’il n’y a pas de risque de dévaluation de la monnaie. Faut-il y croire?
Du moment où nous restons dans un régime de change flexible administré, je ne vois pas d’inquiétude à court terme alors que la banque centrale souveraine a un agenda étalé sur quinze ans. Il faut faire la différence entre un régime de change flexible et flottant. Le premier, choisi par le Maroc, est toujours administré par la Banque centrale qui fixe les marges. Au contraire, le flottant, qui est un objectif sur quinze ans, est un régime parfaitement libéralisé qui est rythmé par l’offre et la demande. Dans le cas du Maroc, ces garde-fous garantissent qu’il n’y aura pas de dévaluation du dirham. Mais il pourrait tout de même y avoir une possible dépréciation, maîtrisée et connue à l’avance.
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Pourquoi est-il important de passer par une phase transitoire avant de se diriger vers une libéralisation totale du régime de change ?
Le passage d’un régime de change flexible à un régime flottant va prendre 15 ans pour ne pas brusquer le marché comme cela a été le cas en Égypte où les autorités ont décidé de passer de façon brutale d’un régime fixe à un régime flottant. Résultat: ils ont pris 30% d’inflation. Il faut d’abord que toutes les structures économiques soient refaçonnées de façon à supporter un régime de change flottant.
Mohamed Boussaïd a déclaré que si le Maroc n’appliquait pas cette réforme, le pays « pourrait subir le même sort que certains pays comme l’Égypte« . La comparaison est-elle pertinente ?
Cette comparaison est justifiée dans l’absolu. Quand la balance d’un pays se déstabilise subitement suite à un assèchement des régimes de change, il s’endette et doit accepter les conditions douloureuses des bailleurs de fonds internationaux. C’est ce qui s’est passé en Égypte. Nous ne sommes pas à l’abri. Le Maroc et l’Égypte ont tous les deux des modèles économiques similaires, rentiers et avec un déséquilibre structurel. S’il n’est pas créateur de richesses, le Maroc n’est pas dans une situation aussi dramatique et il a une politique interne plus stable. D’autre part, le royaume a prévu 15 ans pour mettre en place une réforme qui a été soudaine en Égypte.
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