Une commission de la Coalition marocaine des Instances des droits de l’Homme (CMIDH), qui regroupe différentes ONG, s’est déplacée à Al Hoceïma du 6 au 8 juin afin d’enquêter sur la situation dans la région, rencontrer les familles des détenus du Hirak, et s’enquérir des éventuelles violations signalées par des militants sur place. Les résultats de cette enquête ont été présentés mercredi 21 juin à Rabat.
Dans son rapport, la commission estime qu’il y a eu « une utilisation disproportionnée de la force« . Elle relève aussi « l’utilisation de bombes lacrymogènes » par les forces de l’ordre. Le rapport de l’enquête mentionne « des traces apparentes de violence sur les détenus lors de leur comparution devant le tribunal d’Al Hoceïma le 6 juin« .
Le parquet général avait ordonné des examens médicaux pour enquêter sur ces cas, et promis une « application ferme de la loi » en cas d’abus commis par les forces de l’ordre. Un permis de visite a été accordé aux avocats pour qu’ils puissent rencontrer les accusés. Le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, avait pour sa part alerté sur la différence entre des traces de coup qui peuvent résulter d’une résistance lors de l’arrestation et les cas de torture. Il avait promis à son tour une application stricte de la loi.
Le rapport du collectif formé de 22 associations évoque aussi « de violentes descentes policières dans la rue à des heures tardives et des jets de pierre sur les fenêtres des habitations ». Sur la base de ces conclusions, la Coalition a émis 32 recommandations pour surmonter la crise dans le Rif.
Ces recommandations sont classées en fonction de leur urgence. Dans l’immédiat, la CMIDH appelle à « la libération de tous les détenus du Hirak et à l’abandon des poursuites« , afin de « restaurer un climat de confiance propice au débat entre les protagonistes dans la région« .
La Coalition recommande également « l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les atteintes à l’encontre des habitants d’Al Hoceïma évoquées dans le rapport ». La CIMDH déplore au passage l’absence de réponse de la part des autorités avec qui elle est entrée en contact.
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Déplorant la couverture médiatique des manifestations du Hirak, la coalition préconise « la révision des textes de loi organisant la profession journalistique » et de « mettre fin à l’hégémonie de l’État sur les médias publics ». La CIMDH exhorte en outre l’État à « présenter des excuses publiques et officielles aux habitants du Rif pour ses graves violations aux Droits de l’Homme ». La CMIDH ne précise pas en revanche la période durant laquelle ces violations ont été perpétrées.
Sur le plan économique, social et culturel, la CMIDH prône « la mise à niveau des infrastructures dans le Rif« , et appelle à attirer les investissements industriels, tout en rappelant que « la région comptait 52 unités industrielles pendant la période coloniale, contre aucune actuellement« . La commission espère pouvoir présenter son rapport d’enquête au parlement et au ministère des Droits de l’Homme.
Un rapport neutre?
La CIMDH promet dans la première partie de son rapport, consacrée à la méthodologie, « la neutralité, l’objectivité« , et fait voeu de « s’éloigner des préjugés ». Mais les auteurs du rapport tiennent-ils pour autant ces promesses? Si elle dénonce avec des termes forts les « violations » des droits humains, la CIMDH manque de neutralité à plusieurs endroits.
Par le choix des mots d’abord. C’est le cas quand Mouhcine Fikri, le poissonnier mort broyé par le mécanisme d’une benne à ordure, est qualifié dès le préambule de « martyr« . A contrario, l’interruption du prêche par Nasser Zafzafi est considérée comme un simple « débat animé » (sijal).
Les rédacteurs évoquent également la « militarisation de la province« , faisant référence à un Dahir abrogé en 1959 devenu un des mots d’ordre des manifestants. La CMIDH demande même à « accélérer la publication d’un Dahir annulant la Dahir de la militarisation« , alors que ce texte avait été annulé de facto par la publication d’un nouveau décret royal à l’époque.
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Autre terme qui montre le manque de distance: l’emploi de l’appellation « place des martyrs » pour désigner la place Mohammed V d’Al Hoceima, reprenant exclusivement le surnom utilisé par les militants. Les auteurs du rapport appellent le haut lieu de rassemblement du Hirak « la grande place publique dans le centre d’Al Hoceima ».
Dans la description de leur mission, les auteurs du rapport évoquent d’emblée les « victimes » et promettent de « s’assurer de l’emploi par les autorités de la force » ou encore de constater sur le terrain quels sont les quartiers qui ont « subi une intervention policière« .
En revanche, ils se montrent moins affirmatifs pour évoquer « à quel point le mouvement de contestation a eu recours à la violence« . Dans d’autres passages, la coalition d’associations accuse l’État « d’intervention dans plusieurs lieux de contestation », évoquant » le recours aux Baltagias « , c’est-à-dire à des contre-manifestants violents, qui auraient « agressé plusieurs activistes ». Dans son rapport, la CIMDH ne mentionne en revanche pas la source qui porte ces accusations.
Le rapport accorde bien une place à la version officielle. Les auteurs assurent que les autorités locales n’ont pas voulu répondre à leurs sollicitations, arguant qu’il faut « une autorisation des services centraux à Rabat« .
Si l’absence de retour de la part des autorités est argumenté, celui d’autres institutions officielles n’est pas motivé. Ainsi, le rapport liste un ensemble d’interlocuteurs que les associations souhaitaient interroger, mais sans préciser si des témoignages ont pu être obtenus ou pas. Il s’agit notamment des services de plusieurs ministères (Jeunesse et Sports, Culture et Communication, Santé, etc.), du directeur du pôle administratif de l’hôpital d’oncologie d’Al Hoceima et de la section régionale du Conseil national des droits humains.
Lorsqu’elle aborde l’incendie d’une habitation des forces de l’ordre à Imzouren, la CMIDH donne bien la version des autorités. « Des manifestants ont incendié un camion et quatre voitures en plus d’un autocar qui transportait les forces de l’ordre « . Les manifestants ont aussi « empêché les éléments de la protection civile d’éteindre l’incendie en les empêchant d’arriver sur les lieux « , peut-on lire dans le rapport. Le document met par la suite de la distance avec la version officielle, mais en se reposant sur des commentaires d’acteurs de la société civile qui instillent, sans preuves formelles, le doute sur l’action des forces publiques. C’est le cas par exemple d’un représentant de la « commission du Hirak en Belgique » qui affirme que » des voitures sont restées des heures en train de brûler sans que les pompiers n’interviennent (…) Le Makhzen attendait cette occasion pour salir le Hirak « , affirme-t-il.
Des approximations figurent aussi dans le document, comme quand le « retrait d’accréditation » du journaliste de France 24 est mentionné. Or aucun journaliste de la chaîne n’a subi une telle mesure administrative. Cela étant, il est vrai que la chaîne a renoncé au tournage d’une émission « Hadith Al Awassim » « En raison de l’absence d’autorisation », nous avait assuré une source de la chaîne.
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Le rapport regrette aussi la « subtilisation de sommes d’argent, de téléphones portables et d’ordinateurs » lors de descentes policières. Il n’est pas précisé s’il s’agit d’acte de vol comme le suggère le terme utilisé, ou alors de saisie policière pour enquête.
La visite de ministres à Al-Hoceima pour trouver une issue à la crise figure bien dans le rapport. Elle est toutefois résumée essentiellement à trois incidents : le refus d’un pêcheur de répondre au ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch, l’accueil par des slogans contestataire du ministre Mohamed Hassad et l’encerclement du ministre Laftit au moment où il voulait prendre son hélicoptère. Le rapport ne fait mention du dialogue que dans la section témoignages, où le militant Elmortada Iamrachen, explique avoir assisté aux débats en sa qualité d’acteur associatif et non sous sa casquette d’activiste du Hirak. Autre témoignage qui n’a pas été repris dans les premières sections du rapport : celui du député PJD à Al Hoceima Nabil Andaloussi, qui estime « que mettre fin au prêche de l’imam est inapproprié et (…) il y a d’autres moyens de militer « . Le même député regrette que les militants aient refusé dès le départ le dialogue avec les acteurs politiques, syndicaux et de la société civile.
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