Il y a un temps pour sévir et un temps pour comprendre. Il y a un temps pour défendre l’Etat et un temps pour que l’Etat défende les siens. Il y a des équilibres à trouver entre le laisser-faire et la fin de l’indulgence face aux excès. A ce jour, l’Etat a failli dans la recherche d’un juste équilibre. Pire, ses réactions ont divisé et humilié. La répression, les arrestations, les campagnes de diffamation, et l’instrumentalisation de l’opinion par des médias publics ont braqué ceux qui espéraient un dialogue et excessivement inquiété ceux qui redoutent la “fitna”. Ces vieilles combines contredisent la mesure adoptée jusque-là, surtout du côté des sécuritaires. Dans la rue, la colère gronde. Sur les réseaux sociaux, miroir des passions exacerbées, le clivage entre Marocains est inquiétant. Les vidéos d’attaques et d’insultes contre le roi sont inadmissibles. Les fuites de photos privées de leaders du Hirak et les accusations non fondées de trahison à la nation qui les visent sont indignes. Et que dire des insultes de Hassan II à l’encontre des Rifains, reprises massivement aujourd’hui par les internautes? Ce n’est pas parce que Nasser Zafzafi a dérapé que tout est permis et qu’il faut fermer les écoutilles. Le temps est venu pour l’Etat d’apaiser et de réagir autrement que par une réponse sécuritaire.
Il est vrai qu’un pays qui se dit en construction démocratique a inévitablement des fragilités. Les institutions sont trop faibles, la représentativité politique aussi et le modèle de développement est défaillant. Les maux dont souffre Al Hoceïma sont communs à d’autres régions du royaume et doivent être soignés à l’échelle de tout le Maroc. Mais réduire le Hirak à une simple contestation sociale, c’est prendre le risque de ne pas comprendre le mouvement. Cette région a sa particularité, dont il faut tenir compte. L’histoire du Rif a alimenté la méfiance et l’animosité entre habitants et pouvoir central. L’Etat a traité ce territoire à partir d’une grille de lecture différente. L’épisode Abdelkrim El Khattabi, figure historique devenue un mythe, renvoie à la remise en cause de la légitimité du système monarchique. C’est dans la mémoire du système. Les Rifains, quant à eux, ont non seulement subi des guerres sales mais doivent composer avec un fantasme qu’on leur renvoie: ils seraient ainsi différents, difficiles et opposants par nature. Tout cela concourt à faire du Rif, dans l’esprit de beaucoup, une région arrimée à ce pays de façon artificielle, voire forcée.
A cette situation particulière, il faut des remèdes exceptionnels. Plutôt que de s’échiner à démontrer qu’un Zafzafi est mauvais, l’Etat doit le libérer, lui et ceux qui ont été arrêtés. Croire qu’il est possible de se retrancher derrière un discours uniquement légaliste ou sécuritaire, c’est faire peser un danger sur le Maroc. Ce n’est pas rendre service aux sécuritaires —dont le rôle est de protéger le pays et ses citoyens— que de les laisser seuls gérer la gronde du Rif. A ce stade, il faut sortir du mutisme politique et envoyer un signal fort. Pas de discours mais une nouvelle démarche, crédible et démocratique.