La question aurait pu paraître saugrenue et sans objet il y a quelques années, car on n’imagine pas la démocratie représentative sans partis politiques et sans les clivages dont ils sont l’expression et les symboles. Mais en ce moment, et avec la montée du populisme, la crise des démocraties en Occident et le désaveu de plus en plus massif des establishments traditionnels, l’interrogation est plutôt légitime. On assiste depuis un moment à l’émergence d’acteurs politiques qui aspirent au pouvoir, mais préfèrent contourner le modèle classique des partis, ou au moins l’utiliser à leur compte, tout en le vidant de sa substance. Ainsi et bien qu’il se soit fait élire sous la bannière du Parti républicain, l’accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis s’est faite d’abord autour de sa personne, singulière et iconoclaste. En France, le phénomène Emmanuel Macron est une illustration de ce constat. L’ancien banquier ne se réclame d’aucun camp, rejette les anciens clivages et se présente comme une alternative à l’antique compétition des chapelles politiques. Refuser l’appartenance à un parti devient même un argument en faveur du candidat Macron, en attendant évidemment de voir si cette ligne résistera aux attaques de ses adversaires.
Car, on a tendance à l’oublier, les partis politiques ont une histoire, une vie, un début et certainement une fin. Ils sont apparus au 18e siècle, en concomitance avec la poussée du parlementarisme et la mise en place des démocraties représentatives. Ils s’apparentaient à des ligues de notables, partageant une conscience de classe ou des intérêts communs. Ils deviendront, au début du 20e siècle, des outils de combat idéologique et se transformeront en armes massives de domination et de contrôle des âmes et des pensées. Dans le monde arabe, les partis se sont confondus avec les États et leurs chefs, dans la pire des combinaisons possibles, qui ne produira que désastres et dictatures, comme c’était le cas avec le funeste parti du Baath en Irak et en Syrie.
Au Maroc, on n’est pas à l’écart de cette mutation profonde qui touche la nature des organisations politiques. Les partis ont émergé pendant le protectorat comme un phénomène d’“importation” où il fallait répondre à la colonisation avec ses mots, sa grammaire politique et les structures de la métropole. Les jeunes nationalistes marocains, qui ont fait leurs études en France ou en Espagne, se sont chargés de cette mission. Mais après plus de 60 ans d’indépendance, les partis sont minés et exsangues pour différentes raisons : le culte du chef que seuls la mort ou un putsch interne peuvent déboulonner, la faible exemplarité morale des uns qui discrédite tous les autres, le non-renouvellement des cafres et l’usure des discours. On se retrouve donc avec un affaiblissement des partis et une répulsion exprimée par les faibles taux de participation aux élections et la désaffection des rangs des structures partisanes. On est encore loin de la mort des partis politiques au Maroc, mais les symptômes de leur maladie chronique sont déjà là, présents sous nos yeux.