Privatisation: Boussaid a-t-il bradé Marsa Maroc?

Introduit en Bourse à 65 dirhams l’action, le titre Marsa Maroc a doublé de valeur en six mois. Un différentiel qui représente un manque à gagner de 2 milliards de dirhams pour le Trésor public. L’État a-t-il sous-évalué son opérateur portuaire pour gâter les milieux de la finance ? Réponses.

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Le PDG de Marsa Maroc, Mohamed Abdeljalil, le jour de l'introduction en Bourse. Crédit: David Rodrigues

Hier limité aux cercles des brokers et gestionnaires d’actifs, le débat sur la valorisation de Marsa Maroc s’invite au parlement. Lundi 30 janvier, le député FGD Omar Balafrej dépose une question écrite adressée au ministre de l’Économie et des Finances, Mohamed Boussaïd, sur le manque à gagner accusé par l’État dans l’opération de privatisation (partielle) de l’opérateur portuaire. L’État avait cédé en juillet dernier 40% du capital de Marsa Maroc en Bourse pour 1,9 milliard de dirhams, à 65 dirhams l’action. Six mois plus tard, le cours du titre a doublé, se négociant actuellement à 138 dirhams, un prix considéré par plusieurs opérateurs du marché comme la valeur réelle de Marsa Maroc. Comprenez, à 65 dirhams, l’action était bradée, ce qui signifie, selon Omar Balafrej, que l’État est passé à côté d’une recette supplémentaire de près de 2 milliards de dirhams. “Ces données indiquent, soit une mauvaise évaluation des actions de la société Marsa Maroc par votre ministère, soit un problème dans la sincérité des informations fournies aux investisseurs par vos services”, écrit le député FGD à l’adresse de Mohamed Boussaïd.

“Une heureuse coïncidence”

En juillet 2016, TelQuel présentait déjà l’opération d’introduction en Bourse comme “le dernier cadeau de Boussaïd aux cols blancs”. Une IPO dont l’objectif premier, on le savait, n’était pas de renflouer les caisses de l’État ou de limiter son déficit budgétaire, mais de donner un coup de pouce à la place casablancaise. “Je veux bien qu’on donne un coup de pouce à la Bourse, mais pas dans cet ordre de grandeur. Avec ces 2 milliards de dirhams, on aurait pu construire 2000 écoles dans le monde rural”, s’indigne Omar Balafrej.

Au ministère des Finances, on n’est pas d’accord avec cette analyse. Contacté par TelQuel, un haut responsable du département de Boussaïd évoque une “simple et heureuse coïncidence”. Et d’expliquer : “Il est vrai que Marsa a doublé de valeur en six mois et c’est tant mieux. Mais elle n’est pas la seule. Tout le marché s’est bonifié en 2016, en raison des réformes initiées par le ministère, comme la démutualisation, la refonte des statuts du gendarme du marché et les différentes lois promulguées pour donner un nouveau souffle à la place. Marsa Maroc n’a fait que suivre la tendance générale”. Le haut responsable donne comme exemple le titre Alliances, qui a gagné 125% en 2016, la SNEP et ses 104% de gains, ou encore Addoha dont la valeur s’est appréciée de plus de 80% la même année.

Un argument valable à première vue mais qui ne tient pas véritablement la route. Le marché ne s’est apprécié dans sa globalité que de 30% en 2016 (performance du Masi à fin 2016). Si Alliances, Addoha, la SNEP ou Med Paper ont doublé de valeur, il s’agissait d’un simple effet de rattrapage, ces titres ayant tous subi une forte correction à partir de 2014. Comparer une entreprise publique introduite en milieu d’année avec des titres ayant un  historique d’au moins 10 ans, avec ses hauts et ses bas, n’est pas juste.

Un business plan pessimiste

Ce qui nous amène à la méthode de valorisation de Marsa Maroc, qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les critiques. Menée par les équipes d’Attijari Finances Corp., la valorisation de l’opérateur portuaire s’est basée exclusivement sur la méthode des cash flows actualisés (DCF pour les initiés), faute de comparables boursiers ou transactionnels crédibles. Une méthode évaluant une firme sur la base du potentiel de flux de cash qu’elle est capable de générer dans le futur.

Les évaluateurs d’Attijari se sont pour cela appuyés sur le plan d’affaires prévisionnel de Marsa Maroc, réalisé par le cabinet Roland Berger. Un business plan que beaucoup qualifient aujourd’hui de trop pessimiste, d’où la valeur “bradée” du titre au moment de sa cession en Bourse.

Dans leurs prévisions, les évaluateurs tablaient sur une quasi-stagnation du chiffre d’affaires de Marsa Maroc sur les trois prochaines années. Pour 2016 par exemple, les revenus ne devaient pas dépasser 2,2 milliards de dirhams, soit pratiquement le même volume d’affaires qu’en 2015. Or, à fin juin 2016, le groupe a annoncé dans sa communication semestrielle une progression de 23% du chiffre d’affaires. Idem pour les bénéfices, le business plan tablait sur une chute en 2016 (voir infographie). Or, à fin juin, le résultat net a progressé de 28% ! Une tendance qui sera confirmée (ou pas) dans quelques jours, à l’occasion de la publication des comptes annuels. “Soit les conseils financiers de Marsa Maroc ont mal conçu le business plan, ce qui est grave. Soit ils ont fait exprès de présenter des chiffres pessimistes pour ajuster la valeur à leur cible de prix. Ce qui est encore plus grave”, analyse un banquier d’affaires consulté par TelQuel, sachant que l’introduction en Bourse s’est faite entre juin et juillet 2016 et que ni le management de Marsa Maroc, ni ses banquiers, ne pouvaient ignorer, à ce moment-là, la tendance des six premiers mois de l’exercice.

Au ministère des Finances, on réfute catégoriquement cette accusation. “Le processus d’évaluation a été objectif et a respecté toutes les procédures en vigueur. Le management voulait d’ailleurs encore baisser le prix pour mettre toutes les chances du côté de la société au moment de l’ouverture du capital. De toutes les façons, si l’opération avait échoué, on aurait dit que le prix était trop élevé”, répond du tac au tac notre source au département de Boussaïd, qui qualifie tout cela de “faux débat”.

À qui profite l’envolée ? 

Si la montée en flèche du cours de Marsa Maroc peut être vue comme une occasion ratée pour l’État de renflouer davantage ses caisses, cette envolée a fait néanmoins beaucoup d’heureux. Grâce, entre autres, à son prix d’introduction attractif, Marsa Maroc a attiré pas moins de 18 000 souscripteurs. Un afflux qui rappelle les trois années glorieuses de la Bourse de Casablanca (2006-2007-2008) où la demande de papier frais explosait tous les records. Parmi ces milliers de souscripteurs, on trouve un peu de tout : des salariés et des retraités de Marsa Maroc, qui se sont accaparé 2,3% du capital du groupe, et qui doivent aujourd’hui se frotter les mains au vu des gains dégagés par le titre qu’ils ont acheté 15% moins cher que le reste des souscripteurs.

Les petits porteurs ont été également bien servis, puisque 31,5% des titres émis leur ont été réservés, à hauteur de 12,6% du capital. “Ce sont des boursicoteurs, des particuliers, qui ont perdu des plumes ces cinq dernières années et qui essaient de reconstituer aujourd’hui une partie de leur épargne avec Marsa Maroc. S’il n’y avait pas un bon prix, on n’aurait pas souscrit”, signale Rachid El Rhana, administrateur du forum bourse-maroc, qui réunit une communauté de plus de 3000 petits porteurs.

Mais le plus gros de l’opération a été réservé aux investisseurs qualifiés, OPCVM, Caisses de retraites, compagnies d’assurances, CDG et toute autre entité gérant l’épargne publique. Ceux-là se sont vu accorder plus de la moitié des titres émis. Des titres qu’ils comptent garder en fond de portefeuille pour de longues années. Ce qui fait dire à ce gestionnaire de patrimoine d’une caisse de retraite que le débat sur la valorisation porté par Omar Balafrej est prématuré : “Nous n’avons pas investi dans Marsa Maroc pour le céder six mois plus tard. Notre appréciation sur la valeur d’un titre se fait sur le long terme, et rien ne nous dit actuellement si dans quatre, cinq ou dix ans, cette valeur va continuer sur ce trend ou pas”, relativise le col blanc, en concluant que “l’encouragement de l’épargne populaire et la promotion du marché financier doivent être au centre de l’action du ministère de l’Économie et des Finances, et que deux milliards de dirhams de manque à gagner, c’est peu donner pour atteindre cet objectif stratégique”.

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