En chacun de nous sommeille un Daechien, un être fanatique, perclus de dogmes et prisonnier de vérités absolues. À l’intérieur de nous, il y a des couches de ressentiment et de violence, des sédiments de radicalité, posés et entretenus par l’école, la famille, le pouvoir politique, les prédicateurs de mosquée ou de télé, les discussions de tous les jours, l’air du temps et de l’histoire. Pendant longtemps, on a semé le vent de l’intégrisme, pour récolter aujourd’hui les bourrasques du fanatisme. Le Daechien en nous a été nourri au grain de la haine, à une école dont l’objectif n’était pas de produire des citoyens libres, rationnels et tolérants, mais de générer des créatures médiocres, bornées et invertébrées. Nos manuels scolaires ont inculqué, à des générations entières, une lecture dogmatique de l’islam, qui ne fait aucune part à la beauté, à la vie, à l’acceptation de l’autre dans sa différence et sa singularité. Ces manuels étaient des bréviaires d’intolérance, d’enfermement sur soi et de glorification d’une histoire religieuse mythifiée et chimérique. Il n’existe pas un seul slogan porté et brandi par les mouvements islamistes qui n’ait pas eu sa place dans les textes étudiés par les élèves marocains aux collèges et lycées. Le lit de l’islamisme était soigneusement préparé, il n’a fait que de s’y glisser et prendre place.
Le Daechien en nous est le petit soldat, et l’otage aussi, d’une citadelle théologique et religieuse où cette partie du monde s’est enfermée. Une citadelle construite avec des dogmes, des textes parés de sacralité et un Fiqh obsédé par le halal et le haram. À partir des années 1970, une seule vision et obédience a triomphé et terrassé toutes les autres sensibilités et possibilités de vivre et de penser l’islam. Une conception monocolore, rigide, fonctionnant en vase clos. Elle n’admet pas la relativité des idées, la place de l’histoire pour comprendre l’évolution des croyances et des textes. Pour elle, tout est absolu, et chaque remise en cause ou questionnement est le début d’un égarement ou d’une hérésie. On aime répéter qu’il n’y a pas d’église en islam, mais ce courant a réussi à produire son clergé, ses gardiens du temple et ses spadassins. Sa force est d’avoir fourni à chacun de nous un islam “prêt-à-penser”, qui ne nécessite aucun effort, ni quête individuelle de sens.
Il y a aussi cette colère, cette rage sourde et profonde, qui se nourrit des rancunes et des humiliations. Elle est dans les yeux des jeunes pauvres et déshérités, et qui n’attend qu’un vernis religieux, pour que les frustrations sociales et les haines de classe se transforment en radicalité se réclamant du sacré. Elle est dans les cœurs et les esprits de milliers de personnes, témoins impuissants des massacres et brimades que subissent les musulmans dans certains pays. Le Daechien en nous est cet être de ressentiment qui aspire au paradis, en laissant le monde dans un état de désolation et d’enfer. Il est victime de fait et bourreau en puissance.