Le plus grand port du Maghreb. Le plus haut pont à haubans d’Afrique. La plus vaste centrale solaire du monde. Je ne sais pas si nos superlatifs nationaux sont exacts, mais je m’étonne de quelques oublis. Les Marocains, qui aiment souligner les quelques records qu’ils détiennent, omettent le plus important. Le Maroc dispose de la plus longue façade maritime d’Afrique. Avec 3700 km de côtes, linéaires depuis la frontière algérienne à la frontière mauritanienne, le pays se place en effet très loin devant ceux qui suivent, la Somalie avec un peu plus de 3000 km, ou l’Afrique du Sud avec 2800 km.
Certes, il s’agit là d’un hasard plus que d’une réalisation, mais la géographie est un destin, comme le disait Freud de l’anatomie. Et ce hasard contient les virtualités de l’histoire future du pays, comme il a déterminé une grande partie de son passé.
Terme de l’expansion islamique, le Maroc a été, depuis la fin du Moyen-âge, repoussé par l’empire ottoman et comme écrasé contre l’océan. Il s’est donc étalé sur le balcon atlantique. Plus tard, avec la colonisation française en Algérie et au Sahel, il a perdu beaucoup de ses provinces sahariennes et s’est aminci, devenant l’espèce de « Chili africain » qu’il est aujourd’hui. Cette histoire, ajoutée à l’insertion forcée, par l’impérialisme colonial, dans le commerce international, l’a lancé dans le processus de littoralisation. Ce processus est toujours en cours : richesses, populations, routes, les énergies du Maroc se déversent et se déverseront de plus en plus sur sa façade maritime.
À cette particularité s’ajoutent deux autres qui complètent ce destin géographique. La façade maritime du Maroc est une fenêtre à deux volets, ouvrant sur la Méditerranée et l’Atlantique. Penché sur la mer qui a vu naître la civilisation et ouvert sur l’océan qui a connu la première mondialisation, le Maroc est un nœud géographique et historique reliant deux foyers de l’humanité. C’est une rareté partagée avec deux autres pays seulement : la France et l’Espagne. Et on ne peut s’empêcher de s’interroger : y aurait-il dans ce point commun la clef de l’histoire moderne du pays, colonisé et partagé par Madrid et Paris ? Comme si la France et l’Espagne auraient voulu à tout prix constituer, en 1912, un club des Atlanto-méditerranéens.
L’autre particularité maritime, la troisième, ce sont bien sûr ces 14 km qui séparent l’Europe de l’Afrique. Plus connu que les deux autres, ce troisième pilier du destin maritime du Maroc s’articule au reste. Il est encore lourd de virtualités inaccomplies, à commencer par le projet de tunnel sous le détroit qui, un jour, incarnera physiquement le sens de l’histoire du Maroc depuis des millénaires.
Revenons à ces 3700 km, dont la majeure partie s’ouvre sur l’océan. Quel sens historique ont-ils ? Rappelons-nous que ni les Abbassides ni les Ottomans — c’est-à-dire les deux plus grands empires musulmans — n’ont eu accès à l’Atlantique. Parce que, justement, l’État marocain, depuis les Idrissides, détient ce monopole. Et que s’il fallait résumer en un mot la “mission” historique de cet extrême occident musulman, ce serait celui-là : il est le portier islamique de l’océan.
On comprend mieux l’importance décisive de la question du Sahara, ainsi que des rapports de Rabat avec son environnement méridional proche, la Mauritanie et le Sénégal. En reconstituant une partie de son intégrité territoriale pré-coloniale, le Maroc cherche à renouer avec ce monopole historique. 3700, chiffre porte-bonheur du pays.