Dans L’Europe en enfer, sorti il y a quelques semaines et devenu l’un des best-sellers du moment, le grand historien britannique Ian Kershaw dresse une synthèse brillante des conditions et causes qui ont conduit l’Europe des affres de la Première guerre mondiale à l’abîme de la Deuxième guerre. L’historien explique comment le Vieux continent a marché vers son autodestruction avec la montée du populisme, des mouvements fascistes et dont l’acmé est l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne. La funeste suite des événements est connue par tout le monde. La période des années 1920-1930, analysée par Ian Kershaw, présente des similitudes intéressantes avec notre monde actuel. Ainsi, le début des années 1920 était marqué par un grand développement technologique et économique. De nouvelles voitures, plus petites et moins chères, sortaient des usines, l’éclairage électrique transformait les villes, tandis que le téléphone faisait irruption dans les bureaux pour changer la nature du travail. Mais ces avancées cachaient un malaise, une fragilité et de grandes menaces. Avec une formule prémonitoire, un diplomate allemand avait estimé à l’époque que cette euphorie ressemblait à « une danse sur un volcan ». L’histoire lui donnera raison.
La crise économique de 1929 fait irruption et la face de l’Europe s’assombrissait progressivement. La peur, le repli identitaire et la recherche de boucs émissaires s’installent dans les esprits pour conjurer la crise. L’historien explique comment en Europe les hommes accusaient les femmes de voler leur travail et demandaient qu’elles soient chassées des usines et renvoyées dans leurs foyers. Le ressentiment et la rancœur deviennent les principaux moteurs du vote et des choix politiques. Le populisme émerge pendant cette période et l’Europe vire clairement vers la droite, portée par des classes moyennes crispées et agressives. La marche vers l’abîme est entamée et devient inévitable.
Ce tableau, sombre et apocalyptique, ressemble, comme le lecteur l’aura deviné, à l’état du monde actuel. Il ne s’agit pas de comparer l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mais de trouver des analogies entre deux situations historiques. L’électorat de Trump aux Etats-Unis, du Front National en France ou les partisans du Brexit en Grande-Bretagne se trouvent dans ces franges inquiètes et déclassées des sociétés occidentales. Comme leurs grands-parents dans les années 1930, leurs choix sont animés par la rage, l’angoisse et le repli identitaire. Ils sont les victimes de la dernière crise économique, les laissés-pour-compte de la mondialisation et les spectateurs désabusés d’un monde qu’ils n’arrivent plus à suivre ni à en déchiffrer les mutations. Ils trouvent alors refuge et chaleur dans la communauté nationale et désignent le bouc émissaire, présumé coupable de tous leurs maux, incarné par la figure de l’étranger ou l’émigré. Le populisme et l’extrême droite prospèrent sur ce terreau, mais le remède est plus nuisible et catastrophique que les symptômes.