Éditorial. Leur culture et la nôtre

Par Aicha Akalay

Ils choisissent leur destin loin des chemins balisés. Ils créent, contestent et bousculent. Ces Marocains se voient d’abord en individus contemporains. Ils aiment souvent la fête, la danse, la musique, la poésie, les corps-à-corps. Ces hommes et ces femmes n’ont que faire des frontières. Ils sont curieux et libres. Ce sont nos artistes, nos artisans de la culture, et ils nous sont précieux. Personne ne s’intéresse vraiment à eux. Car la culture, pense-t-on chez nous, est secondaire, elle n’est que loisir. Le Marocain, c’est bien connu, n’a besoin que de manger, d’aller à l’école, d’être soigné et d’avoir un toit. Et c’est tout. À la veille des élections législatives, alors que les programmes déroulés font miroiter des taux de croissance incroyables et des créations d’emplois tout aussi utopiques, nous aimerions rêver pour notre culture.

Ce formidable outil, qui crée du lien entre les humains, est absent de nos politiques publiques. Pourtant, la culture n’est pas qu’une affaire d’élite, elle contribue à la stabilité sociale en favorisant la compréhension, et assure la préservation des coutumes et des particularités locales. L’État ne devrait pas encadrer la création culturelle, mais plutôt la favoriser. Avant le PJD, et pendant de nombreuses années, l’obsession du pouvoir marocain était de contrôler la création. Il fallait éviter la contestation. Cette gestion liberticide de la culture a fourni un terreau idéal aux islamistes. Aujourd’hui, faute d’avoir prévu la déferlante de la pensée des “frères”, les modernistes makhzéniens se rattrapent en criant au danger. Et il serait malhonnête de nier le danger.

Chez les islamistes, la seule culture valable est la culture islamique. Cette conviction est largement partagée dans les rangs du PJD. Aucun ministre islamiste n’a jamais été aperçu dans les foules de nos festivals, ni a affiché d’autre référence philosophique ou politique que les écrits théologico-juridiques. Les idéologues du parti de la lampe croient en l’islamisation de la modernité, et la culture, selon eux, n’a pour seul objectif que de perfectionner le musulman, elle est dirigiste et dicte une vie conforme à l’orthodoxie. Cette vision de la culture, Benkirane et son parti évitent de trop l’exposer, essentiellement par calcul politique : ils seraient accusés de s’attaquer aux libertés.

Ce que nous aimerions voir défendre c’est une compréhension de la culture, qui serait une émancipation du religieux. Une culture qui célèbre le beau, le juste, l’harmonieux… ou tout le contraire. Notre culture marocaine n’est pas que musulmane. Elle est aussi juive et grecque. C’est sur nos terres que la mythologie situe le jardin des Hespérides, par exemple. Et c’est dans l’une de nos grottes, au Cap Spartel, qu’Hercule s’est reposé de ses travaux. Une vision étriquée de la culture marocaine est à combattre, et les opposants du PJD devraient y penser comme argument de campagne. Il serait plus noble de miser sur la culture que sur la triche pour battre les islamistes.