Un conte de deux cités

Par Yassine Majdi

Mohammed VI a quitté Casablanca le 15 avril à l’issue d’un séjour d’un mois qui a coïncidé avec le ramadan. En quittant la métropole, le roi a sans doute dû être rassuré par l’évolution des chantiers menés dans la plus grande ville du royaume. Car, pendant longtemps, les visites royales à Casablanca ont souvent été associées aux “colères” du souverain, justifiées, il est vrai, par les retards conséquents constatés sur certains chantiers structurants de la Ville blanche. Depuis quelques mois, les différents projets initiés au sein de la capitale économique sont menés tambour battant et dans des délais raccourcis.

Preuve en est, le souverain a inauguré de nouvelles infrastructures, ce qui n’était pas le cas lors de plusieurs de ses récentes visites. L’embellie ne doit rien au hasard puisqu’elle intervient au lendemain de la nomination de Mohamed Mhidia en tant que wali de Casablanca-Settat. “Al Baïda” se transforme et les projets initiés par la wilaya promettent de faire de la métropole un espace où la vie sera plus agréable pour les quelque cinq millions d’âmes qui y vivent. Les progrès sont là certes, mais il reste encore à valider les acquis sur la durée.

La mue entamée par Casablanca n’est pas sans rappeler la métamorphose qu’a connue Rabat. Dans la capitale, les chantiers étaient nombreux et leur réalisation s’est faite dans des délais et avec une efficacité rarement vus dans notre pays. Mais, surtout, ils sont le fait d’une prise des commandes par le wali Mohamed Yaâcoubi, au détriment d’un conseil de la ville englué dans des polémiques à répétition.

Le conseil de la ville dispose de nombreux pouvoirs qui en font – sur le papier au moins – l’acteur de référence pour le développement urbain de la capitale. Mais dans les faits, les grands chantiers sont menés par le wali à travers les SDL, dont il préside le conseil d’administration. On serait donc presque tenté de penser que la gestion des villes par des “super-walis” est un bienfait qu’il faudrait transformer en norme.

“La gestion de la capitale crée également une mauvaise répartition des rôles : au wali les lauriers de la réussite, aux élus la bronca populaire, dans un contexte où la classe politique est déjà en mal d’amour”

Yassine Majdi

Mais ce serait ignorer les défauts que fait émerger une concentration trop importante des pouvoirs dans une seule main. À Rabat, le simple déracinement d’un arbre menaçant de tomber doit faire l’objet d’une autorisation préalable du wali avant l’intervention de la SDL de tutelle. La gestion de la capitale crée également une mauvaise répartition des rôles : au wali les lauriers de la réussite, aux élus la bronca populaire, dans un contexte où la classe politique est déjà en mal d’amour. “Le système est fait de telle manière que tout ce qui ne fonctionne pas est automatiquement la faute des élus. Dans certains cas, ce sont même les employés du ministère de l’Intérieur qui appellent les citoyens à se diriger vers leurs élus, alors que c’est la wilaya qui a mené les travaux”, nous confie l’un d’entre eux. Quel est donc le modèle à suivre ?

“Les fonctions électives ont été transformées en fiefs dont le pavillon change au gré des élections”

Yassine Majdi

Faudrait-il donc souscrire à l’idée que les élus peuvent assumer, seuls, la politique urbaine d’une ville ? Certainement pas. L’exemple de la gestion désastreuse de Casablanca jusque-là en est un témoignage édifiant. Profitant des responsabilités qui leur sont conférées par la loi, les élus ont trop souvent privilégié leur intérêt personnel – ainsi qu’une éventuelle réélection – à l’intérêt général des habitants. “La loi électorale telle qu’elle a été conçue fait émerger des notables qui “vendent” leur siège au parti politique le plus offrant, car ils bénéficient de l’appui d’un certain électorat qui leur garantit une élection”, estime cet ancien responsable public.

En somme, les fonctions électives ont été transformées en fiefs dont le pavillon change au gré des élections. Mais une simple réforme de la loi électorale ne suffit pas. “Il faut également repenser la gestion de la ville. Aujourd’hui, le conseil de la ville dispose à la fois de pouvoirs exécutifs et délibératifs”, affirme ce connaisseur qui prône une nouvelle répartition des pouvoirs entre walis et élus.

Cette révision pourrait se matérialiser par une wilaya chargée de l’exécution et de conseils de la ville transformés en assemblées chargées de voter les budgets et contrôler l’exécution des projets. Un changement de paradigme qui, tenant compte des défaillances de nos élus, permettrait le progrès malgré le sacrifice de certains acquis démocratiques. La tâche est ardue, et il revient à nos décideurs de trouver un juste équilibre entre démocratie locale et recours à l’autorité centrale. Un exercice impératif afin d’offrir aux Marocains la “meilleure des époques” dans leur ville et laisser le pire derrière eux.