Les villes marocaines peuvent se révéler être de vrais calvaires pour les personnes en situation de handicap, qu’elles soient en fauteuil roulant, sourdes ou aveugles. Absence de passage piétons, trottoirs très élevés : il est très difficile pour elles de se déplacer. Progressivement, les autorités tentent de répondre au problème. Récemment, l’Amicale marocaine des handicapés a entamé le diagnostic d’accessibilité de la commune de Sidi Belyout, à Casablanca. Mais aujourd’hui, le projet le (presque) plus abouti est celui de Marrakech. Dans quelques semaines devraient se terminer les travaux d’aménagement du centre-ville.
Le projet d’un peu plus 12 millions de dirhams, lancé par le ministère de la Solidarité financé par un prêt de la Banque mondiale et un don du Japon, concerne deux parcs, deux établissements publics et trois artères principales. Les lieux ont été choisis pour leur utilité et leur fréquentation : ils desservent de nombreux services. L’objectif : dans ce périmètre, ne pas interrompre la chaîne de déplacement. Autrement dit, qu’aucun obstacle ne vienne gêner le déplacement d’une personne atteinte d’un handicap.
Des rampes et des élévateurs ont par exemple été installés pour accéder au Conseil de la ville et à la Wilaya. « La préfecture est classée monument historique nous devions donc être très vigilants », nous précise Amal Benmansour, l’architecte qui a pensé le projet. Autre aménagement : l’abaissement des trottoirs, l’installation de barrières de sécurité le long des voies, de poteaux pour éviter le stationnement sauvage, ou encore de dalles en relief aux passages piétons, pour aider les personnes aveugles.
Voiries, transports, toilettes…
Une vraie révolution. C’est que la ville partait de très loin. « En 2007, il n’y avait pas grand-chose de fait pour les handicapés », se souvient José, ancien ambulancier responsable d’un hôtel entièrement accessible aux personnes en situation de handicap et qui a travaillé avec la mairie sur cette thématique. Jusqu’en 2013 par exemple, les passagers de l’ensemble des compagnies aériennes en fauteuil roulant devaient se faire porter à la main jusqu’aux portes de l’avion. Aujourd’hui, il existe des montes charges adaptés. Ce qui pêche toujours d’après lui : les transports en commun. Seuls deux bus sont accessibles aux personnes en fauteuil, nous détaille-t-il. Autre problème : les toilettes. Aucun sanitaire du centre ville n’est vraiment pratique : « Pour le moment, ils n’ont pas changé ceux du cyber parc donc c’est triste mais seuls ceux du Mc Do sont accessibles », se désole l’hôtelier.
Tous les lieux touristiques ne sont pas totalement accessibles, du fait de leur architecture notamment (les nombreuses marches des palais par exemple), mais la médina est plutôt plate. « Nous venons d’obtenir l’accord de Pierre Bergé, l’entrée au jardin Majorelle sera bientôt gratuite pour les personnes handicapés », se réjouit José qui rappelle qu’une personne en fauteuil doit en général se faire accompagner. Et les responsables ne sont pas tous enclin à coopérer : « Nous avions fait installer des rampes dans le musée de Marrakech, mais elles ont été enlevées », nous explique la même source.
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Convaincre les politiques
« Au Maroc, il y a encore l’esprit de famille. Les gens ont donc du mal à comprendre qu’on demande des accessibilités. Pour eux, ce n’est pas la peine puisque pour monter un trottoir il n’y qu’à soulever à quatre le fauteuil », commente José, qui résume : « Les gens ont du mal à comprendre que c’est blessant pour la personne de toujours demander ». « J’ai eu beaucoup de difficultés à les convaincre, nous explique aussi Amal Benmanssour en parlant de la préfecture et du Conseil de la ville de Marrakech, il a fallu démystifier le sujet ». Mais progressivement, l’accessibilité est donc prise en compte. Assez pour laisser l’architecte dire que « le Maroc n’est pas en retard en la matière, mais c’est grâce à des initiatives privées, et non pas à l’Etat ».
Le Maroc a pourtant ratifié le protocole facultatif de la Convention des Nationes unies relative aux personnes handicapées qui le contraint à assurer l’accès à l’environnement à toutes personne handicapée. Et depuis 2003 il existe bien une loi traitant du sujet mais elle n’exige l’accessibilité que pour les nouveaux bâtiments et n’est pas respectée, faute de décret d’application. Mais la loi 10.03 concernant l’accessibilité n’est pas très contraignante. Et le projet de la loi-cadre relative aux personnes en situation de handicap non plus. Le texte n’instaure pas d’échéance à l’issue de laquelle les administrations sont sanctionnées fautes de s’être mises en accord avec la loi. Le CESE recommande qu’un délai de mise en œuvre soit imposé. L’institution conseille même de faire de l’accessibilité une obligation pour l’octroi du permis de construire.
Manque de compétences
Et même en cas de volonté politique, pas toujours facile de mener les projets à terme. Il s’agit de travaux demandant des compétences particulières, de l’architecte à l’ouvrier. Depuis peu, l’Ecole nationale d’architecture a intégré dans son programme une matière obligatoire spécifique à la question. Mais d’après Amal Benmansour, il y a un vrai manque de professionnels : « Il faut être sur le chantier très régulièrement sinon ils font des bêtises, comme par exemple un toilette au milieu de la pièce au lieu de le placer contre le mur ». En témoigne, toujours d’après cette source, les résultats du projet de Tétouan, pourtant soutenu par Handicap international et dont il a réalisé l’étude, finalement mal exécuté et donc le résultat se révèle finalement décevant selon lui.
Les prochaines tentatives seront peut-être plus concluantes. Le ministère de la Solidarité a tout de même commandé le diagnostic d’accessibilité de quatre villes : Rabat, Tanger, Oujda et Casablanca. « Pour Casablanca, il faudra beaucoup de temps, c’est un monstre », commente l’architecte spécialiste de l’accessibilité.
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