Depuis qu’il a été adopté en conseil de gouvernement le 18 juin 2014, les associations n’arrêtent pas de le critiquer. Le projet de loi-cadre relatif aux personnes handicapées déçoit beaucoup, à tel point que plusieurs sit-in et manifestations ont eu lieu. Le texte est d’importance : plus de 5 % de la population marocaine est concernée. Le Conseil national des droits humains (CNDH) a rendu son avis mi-février. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), consulté par le gouvernement, en a débattu ce 26 février. Décryptage du texte et de ses critiques.
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Non-respect des engagements internationaux
Sur le contenu, de manière générale, les associations critiquent le « ton » de la loi, qui adopte une approche qui ressemble à de la « charité ». « La loi n’adopte pas une approche par le droit », nous explique Idir Ouguindi, membre de l’Amicale marocaine des handicapés (AMH). Autrement dit, elle n’instaure pas suffisamment de droits juridiques pour assurer l’égalité des personnes handicapées. Le CNDH, dans son avis rendu en ce mois de février, réclame à plusieurs reprises d’instaurer des droits et d’expliciter l’interdiction des discriminations.
Idir Ouguindi nous explique qu’il regrette que la définition du handicap inscrite dans le projet de loi-cadre insiste sur le côté médical mais n’évoque pas l’importance de la société, en partie responsable de la construction du handicap. En décidant de trottoirs trop hauts par exemple.
Le texte définit les personnes en situation de handicap comme « ayant des limites de capacités physiques, mentales, psychiques ou sensitives, de manière chronique, qu’elles soient stables ou évolutives, et qui les empêchent […] de participer de manière active à la société ». Dans son avis, le CNDH a critiqué cette définition. L’organisation conseille de transposer la définition édictée par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, que le Maroc a ratifiée. Celle-ci ajoute à la fin : « sur la base de l’égalité avec les autres ».
Assez d’argent sur la table ?
« Le projet de loi ne respecte pas la convention internationale », nous explique Idir Ougoundi, membre de l’AMH. Il pointe par exemple du doigt le fait que la convention internationale prévoit la création d’une commission nationale et d’un fonds dédiés à la cause, tandis que la loi-cadre ne les évoque pas. « Certes, il y a le fonds de cohésion sociale mais il est aussi dédié à d’autres causes ».
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En outre, le texte ne fait à aucun moment référence aux moyens financiers alloués à la question. L’article 6 évoque en effet la mise en place de subventions pour les personnes handicapées, leurs familles et leurs tuteurs, mais n’en donne pas le montant. Le CESE préconise la mise en place de filets sociaux destinés à améliorer les conditions de vie des personnes en situation de handicap et appelle à les faire bénéficier de la protection sociale et de la couverture médicale et la solidarité mutualiste.
Manque de mesures concrètes
Le texte apporte peu de mesures concrètes. Cependant, comme bon nombre d’autres lois, il se réfère beaucoup à des décrets voire des contrats qui devront venir ensuite compléter les dispositions. C’est par exemple le cas pour les quotas de personnes handicapées employées dans le public et le privé. De même, l’article 12 parle de « mesures incitatives » pour encourager la construction d’établissements scolaires spécialisés, sans donner de détail. Autre exemple : l’article 8 stipule de manière floue que « des mesures essentielles vont être prises pour la prévention et la guérison » des personnes handicapées.
Aussi, concernant l’accessibilité des lieux publics, le texte n’instaure pas d’échéance à l’issue de laquelle les administrations sont sanctionnées fautes de s’être mises en accord avec la loi. « Des expressions comme ‘dans les limites des moyens disponibles‘ sont contraires au caractère contraignant de la loi », commente Hajar Laaribi, directrice du Collectif pour la promotion des droits des personnes en situation de handicap. Le CNDH formule la même remarque et recommande de préciser la portée de l’engagement des pouvoirs publics. Idem pour le CESE, qui aimerait qu’un délai de mise en œuvre soit imposé. L’institution conseille même de faire de l’accessibilité une obligation pour l’octroi du permis de construire.
Peu de choses sur l’éducation et l’emploi
L’article 11 énonce le droit à l’éducation pour ces personnes. Mais le CNDH demande plus. Il recommande notamment de faciliter l’apprentissage du braille. Le CESE va dans le même sens et insiste sur l’importance de créer un nombre suffisant de classes d’insertion scolaire (Clis). Au sujet de l’emploi, là aussi le CNDH réclame plus d’avancées. Il demande, entre autres, l’instauration d’une obligation de l’employeur d’apporter des aménagements raisonnables aux lieux de travail.
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Quelques avancées quand même…
Le projet de loi-cadre s’attaque au problème du manque de personnel compétent pour aider les personnes en situation de handicap. L’article 10 du texte évoque par exemple la création de filières spécialisées et de formations professionnelles pour la rééducation.
Le ministère entérine l’idée de discrimination positive. Le texte instaure par exemple l’idée que les personnes handicapées peuvent être prioritaires pour les concours de la fonction publique (article 21) et qu’elles peuvent bénéficier des programmes de logements sociaux.
… mais un manque de consultation
Les associations œuvrant dans le domaine regrettent de ne pas avoir été consultées. Pourtant, « nous avons été une vraie force de proposition puisque la société civile, après quatre ans de travail, avait proposé une loi en 2009. Elle a été étudiée par le SGG en 2010 puis le gouvernement actuel l’a ajournée sans explication », nous raconte Hajar Laaribi, directrice du collectif. La militante regrette que la consultation ne soit qu’un vain mot :
La constitution de 2011 prévoit de faire participer les organisations de la société civile alors qu’on a découvert le texte trois jours avant sa relecture par le Secrétariat général au gouvernement.
Retrait ou amendements ?
Face à la déception et la nécessité, d’après elles, de défendre davantage encore les droits des personnes handicapées, certaines associations réclament le retrait pur et simple de ce texte, comme le Collectif pour la promotion des droits des personnes en situation de handicap par exemple. « Mais nous continuons quand même notre travail de plaidoyer, nous n’excluons aucune piste », nous précise Hajar Laaribi.
D’autres, ne sont pas pour le retrait, qui d’après eux ne ferait que retarder l’application. Ils comptent sur le jeu des amendements, et commencent déjà à faire valoir leurs revendications auprès des députés, telle l’AMH par exemple.
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