À l'épreuve du temps. Un article à enterrer

Par Abdellah Tourabi

Le ramadan touche à sa fin. Un mois où se sont côtoyés, comme à l’accoutumée, une panoplie de paradoxes, de comportements contradictoires et parfois même conflictuels. La piété la plus intense, où l’humain s’arrime au divin, permettant au croyant de transcender son existence en ce bas monde, coexiste avec un consumérisme frénétique et décuplé que l’on observe rarement dans les autres jours et mois de l’année. Durant ces quatre semaines, la maîtrise de soi, le partage et l’empathie à l’égard des pauvres et des démunis coexistent parfois chez les mêmes individus avec l’agressivité, l’impatience et l’absence des bonnes manières les plus élémentaires. Le ramadan, “fait social global” selon la formule d’Émile Durkheim, père fondateur de la sociologie française, nous renseigne sur le fonctionnement de notre société, les valeurs qui la traversent et comment on organise nos interdits et aménage nos espaces de permissivité et de liberté.

Comme chaque ramadan, un débat refait invariablement surface et revient avec son lot de commentaires, d’arguments et de positions. Il s’agit, comme le lecteur l’aura deviné, de la sempiternelle polémique autour de l’article 222 du Code pénal, qui condamne les personnes de confession musulmane qui mangent ou boivent dans un espace public pendant le ramadan. Cet article est un héritage pur et simple du Protectorat. Il correspond à la philosophie et aux idées répandues par le Maréchal Lyautey, qui pensait protéger et sauvegarder la spécificité religieuse et spirituelle du pays en empêchant les jeunes Marocains “évolués”, selon la terminologie de l’époque, de braver la tradition et les pratiques ancestrales au sein du royaume chérifien. Cet article ne trouve aucun écho ni répondant dans les textes religieux musulmans qui organisent différemment le non-respect du jeûne. Dans le Coran, il n’existe aucune disposition qui donne à l’État et aux pouvoirs publics l’autorité et la latitude de sanctionner une personne qui contrevient à ce devoir. Dans cette optique, le musulman qui enfreint l’obligation du jeûne dispose de toute la vie pour racheter son erreur et remédier à ce qui est considéré comme un moment d’égarement. Nulle mention donc de contrainte physique, ni de menace d’emprisonnement.

Le débat sur l’article 222 du Code pénal demeure, malgré quelques excès et dérapages, sain et nécessaire pour notre pays. Il fait partie de ces sujets qui permettent de vérifier le degré de maturité de la société marocaine pour le débat, l’acceptation de la pluralité des points de vue et la gestion pacifique des différences. L’issue souhaitable et normale du débat devrait être l’abrogation de l’article 222 du Code pénal, à l’image d’autres dispositions absurdes et surannées qui ont été supprimées de nos lois et règlements. L’objectif commun est de développer et parvenir à une situation de consensus au sein de la société marocaine, qui permette de respecter les sentiments religieux de la majorité des Marocains, en refusant de se livrer à ce qui peut être perçu comme une provocation, mais qui empêche également toute personne de s’ériger en bras séculier de Dieu sur terre. En un mot, un esprit de tolérance qui n’a pas besoin de lois abusives pour arbitrer les divergences.