Abbas Kiarostami: « Mon cinéma ne me vient que de la vie et ne m’est enseigné que par elle »

Plus qu'un cinéaste, Abbas Kiarostami a réinventé à sa manière le langage cinématographique. Hommage.

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Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami. Crédit : Yassine Toumi

« Un artiste n’a ni le rôle ni la vocation ni le pouvoir de changer quoi que ce soit en faisant ses films ». C’est une réplique qui dénote l’humilité que nous avait confiée Abbas Kiarostami à l’occasion de sa rencontre avec TelQuel au Festival international du film de Marrakech en décembre 2015. Car, contrairement à d’autres cinéastes iraniens qui analysaient et critiquaient des facettes de la société iranienne, Kiarostami, mort le 4 juillet à l’âge de 76 ans des suites d’un cancer, partait vers une poésie des choses simples, des hommes, des femmes et des enfants que nous pouvons retrouver partout. « Je m’attarde dans mes films sur des choses primaires, qui sont les éléments de base de notre existence à tous. De cette façon, je me départis de cette ambition ou cette illusion de pouvoir changer le monde à travers un film que je fais », nous avait-il confié.

Une manière de faire du cinéma qui, semblable à quelques mesures près à celle du Japonais Yazujiro Ozu, transparaît dans tous ses films : Le pain et la rue (un duel entre un enfant et un chien), Où est la maison de mon ami ? (l’histoire d’un enfant qui cherche à rendre à son camarade de classe son cahier de devoir), Ten (discussion en voiture entre une mère et son enfant pendant qu’elle le ramène à l’école), Close up (l’histoire d’un jeune homme qui va se faire passer pour un grand réalisateur iranien pour s’intégrer dans une famille), etc.

Ce regard particulier sur les choses va le mener jusqu’au Festival de Cannes et le faire entrer dans la liste très restreinte des cinéastes confirmés. En 1997, son film Le goût de la cerise est sélectionné au Festival et remporte la Palme d’or. Une consécration qui a été vivement critiquée et peu appréciée en Iran, puisque son film s’attaquait à un sujet tabou dans les sociétés musulmanes: le suicide.

« S’approcher de la vérité en mentant »

Dans son cinéma, Kiarostami savait raconter avec maestria des histoires fictives tout en y intégrant des éléments documentaires. Une approche volontaire de la part du cinéaste qui explique : « Nous ne pouvons jamais approcher la vérité sauf en mentant ». Une manière de faire qui a commencé avec ses premiers films, tels que Le passager, Et la vie continue, Au travers des Oliviers et qui s’est poursuivie avec Copie Conforme, en compagnie de l’actrice Juliette Binoche.

Filmer sans autorisation

Malgré la consécration mondiale, Kiarostami est obligé de tourner ses films en Iran sans autorisation. Depuis la fin des années 1990, le cinéaste a été obligé de contourner la censure et faire avec les moyens du bord. Pour le tournage de son film Ten en 2001, qui se passe entièrement dans une voiture, Kiarostami installe deux caméras numériques et filme en plein embouteillage une mère avec son garçon qui se plaint tout le temps. Aucune direction d’acteurs, aucun artifice de mise en scène, juste un dialogue entièrement écrit et une improvisation d’interprétation pour les comédiens. Minimalisme et intimité étaient les maîtres-mots de ce film.

Le réalisateur signe par la suite un autre film encore plus intimiste, Shirin. Des gros plans sur plusieurs femmes qui regardent un film au cinéma. Pour cette œuvre, Kiarostami tourne dans une petite salle avec une lumière dirigée sur les actrices pour faire croire au spectateur qu’elles regardent un film. Au lieu de regarder l’écran, les actrices fixent une feuille blanche. Une interprétation magistrale. Le spectateur en est bluffé.

 

L’expérience étrangère

Après ses films en Iran, son producteur français Marin Karmitz lui propose de tourner un film à l’étranger. Une invitation qu’il ne refuse pas. En 2009, il commence le tournage de Copie Conforme. James, un écrivain quinquagénaire anglo-saxon donne en Italie, à l’occasion de la sortie de son dernier livre, une conférence ayant pour thème les relations étroites entre l’original et la copie dans l’art. Il rencontre une jeune femme d’origine française, galeriste. Ils partent ensemble pour quelques heures à San Gimignano, petit village près de Florence. Peu de temps après, ils commencent à se parler comme s’ils étaient mari et femme. Difficile de distinguer entre la réalité et la fiction.

« Une fois que j’ai su que Kiarostami allait tourner en Europe, j’ai passé un coup de fil à Karmitz et l’ai supplié de me prendre dans ce film », avait déclaré l’actrice française Juliette Binoche à Cannes en 2010, à l’occasion de la sélection du film qui lui valu le prix de la meilleure interprétation féminine.

En 2011, Kiarostami tourne un autre film, au Japon cette fois-ci. Un vieil homme rencontre une jeune femme à Tokyo. Il croit la connaître. Elle ne sait rien de lui. Il lui offre sa maison, elle lui propose son corps en guise d’échange. Une réflexion sur la vieillesse et la jeunesse avec toujours ce même thème : la vitalité et la vie. « Mon cinéma ne me vient que de la vie et ne m’est enseigné que par elle ». Cette même vie qui a quitté la scène du monde le 4 juillet.

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