Depuis le vote par la commission des affaires sociales de la loi sur la régularisation des travailleurs domestiques, qui accorde enfin des droits à cette catégorie socio-professionnelle mais qui ne va pas suffisamment loin pour ses détracteurs, l’indignation a gagné les réseaux sociaux, la société civile, l’opposition voire même certaines voix au sein de la majorité. Le Collectif pour l’éradication du travail des petites bonnes (CETPB), composé d’une cinquantaine d’associations, a été l’un des premiers à mener campagne contre cette loi.
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Premier grief sur lesquels s’accordent les opposants à cette loi et qui vient en boucle dans la bouche des contestataires: l’âge minimum du travail. «L’âge est une question très importante, au regard de la Constitution. Le CNDH (Conseil national des droits de l’Homme) et le CESE (Conseil économique social et environnemental) recommandant d’ailleurs le début du travail à partir de 18 ans», estime Bouchra Ghiati, présidente d’Insaf, association de lutte contre le travail des filles mineurs, et membre du CETPB. Ghiati dénonce «des artifices pour justifier le recours à l’âge de 16 ans», qui pour ses défenseurs constitue une barrière réaliste conforme au code du travail. Pour appuyer son texte, le gouvernement a fait valoir de son côté la mise en place de «mesures d’accompagnement« .Il s’agit du « contrôle par des assistantes sociales ou des inspecteurs de travail des conditions dans lesquelles exerce cette catégorie».
Mais pour la présidente d’Insaf, ces bonnes intentions sont inapplicables: «sans un mandat d’un juge, personne ne peut avoir accès au domicile de l’employeur». De plus, dans la mesure où la Constitution interdit la violation du domicile, elle pense que la balance pourrait même pencher pour une invalidation pure et simple de cette mesure par le Conseil constitutionnel.
« 40% des mères célibataires avaient exercé comme petites bonnes »
D’un autre côté, cette loi oblige les travailleurs domestiques âgés entre 16 et 18 ans à obtenir une autorisation de leur tuteur. Cette autorisation leur permettra ensuite de nouer avec l’employeur de leur choix un contrat de travail. «Quelle jeune fille, qui a à priori reçu peu d’éducation voire pas du tout, est capable de négocier les clauses de son contrat et de veiller à ce qu’elle ne soit pas abusée?», s’interroge la présidente d’INSAF, dont l’association traite aussi la problématique des mères célibataires. Et de rappeler que «40% des cas de mères célibataires reçues par Insaf ont été dans une période de leurs vie des petites bonnes».
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Un autre point soulevé par le collectif, qui a lancé une vaste campagne de plaidoyer , est le souci des mesures d’accompagnement de cette future loi. Bouchra Ghiati fait remarquer qu’«il n’y a aucun dispositif qui permet de traiter les cas des filles qui travaillent actuellement dans des maisons et qui ont moins de 16 ans». Une situation qui, selon elle, fait courir à beaucoup de filles le risque de se retrouver dans la rue puisque leurs employeurs vont se retrouver sous le coup de la loi. «Peu d’employeurs auront la bienveillance d’accompagner ces filles jusqu’à leur retour à leurs familles», ajoute-t-elle.
Cafouillage opposition-majorité
Paradoxalement, le PPS (Parti du progrès et du socialisme), membre de la majorité, et dont la loi tombe dans l’escarcelle de son ministre Abdeslam Seddiki , s’est aussi exprimé en faveur d’un âge minimum du travail fixé à 18 ans. «Nous n’avons pas trouvé assez d’alliés dans la gouvernement, mais aussi dans l’opposition, pour pouvoir amender cette disposition» s’est justifié Nabil Benabdellah, secrétaire général de la formation, dans une vidéo postée par la chaîne Youtube de son parti.
Du côté de l’opposition, bien qu’il partage l’argumentaire de la société civile, Adil Tchikitou, député Istiqlalien et membre de la commission des affaires sociales qui a voté contre la loi, souligne encore une autre pomme de discorde, moins médiatisée cette fois-ci. «La loi a considéré ces personnes comme une sous-catégorie de travailleurs en leur accordant seulement 60% du SMIC. C’est un retour en arrière», juge-t-il. Pour le député, il faut aligner les travailleurs domestiques avec le reste des catégories socio-professionnelles.
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Mais l’opposition ne joue-t-elle pas à la surenchère? Quand on fait remarquer au député du parti de la balance que cette loi a été dans un premier temps validée en deuxième chambre, pourtant dominée par l’opposition, Tchikitou justifie en ayant recours à l’argumentaire juridique. «La deuxième chambre est composée principalement des professionnels et des syndicalistes qui veillent à ce que le projet soit conforme au code du travail. Sur ce point, il l’est parce que selon la loi l’âge légal du travail démarre à 15 ans. Le droit et le côté politique est le travail de la première chambre, c’est ce qu’on est en train de faire», assure-t-il. Mais la première chambre est, elle, dominée par la majorité, qui soutien le texte. Autant dire qu’elle devrait passer comme une lettre à la poste, à moins d’un amendement de dernière minute.
Le projet de loi attend à ce stade le vote en session plénière. La société civile espère influé sur le texte avant qu’il soit remis ou qu’il ne soit voté en séance plénière. S’il passe, il ne restera plus que sa publication au Bulletin officiel avant qu’il n’entre en vigueur. Les élus vont-ils se satisfaire de la mouture actuelle?
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