Grâce à la diversité de la presse nationale, caractéristique des régimes démocratiques, les citoyens marocains ont eu l’opportunité de percevoir plusieurs points de vue sur les révélations issues des Panama Papers. Les divulgations autour de l’utilisation de sociétés offshore par plus de 140 personnalités mondiales font d’ailleurs les gros titres dans des médias du monde entier, ou presque. Conduites par le Consortium international des journalistes d’investigations (ICIJ), les résultats des investigations sont au moins relayées et analysées par la centaine d’organes de presse dont les journalistes ont participé à l’analyse de quelques 2600 Go de mails, documents et images issus de la firme panaméenne Mossack Fonseca. C’est le plus gros « leak » de l’histoire du journalisme en termes de volume de données, et il concerne le Maroc en la personne du secrétaire particulier du roi Mohammed VI, Mounir Majidi. D’après l’ICIJ, ce dernier était notamment administrateur de deux sociétés domiciliées aux Iles Vierges britanniques, SMCD Limited et Immobilière Orion SA qui ont permis l’acquisition du yacht El Boughaz 1 et d’un luxueux appartement parisien.
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Il était une fois SMCD Limited…
Certains médias marocains ne font pas mention de l’affaire depuis la mise en ligne du résultat des investigations de l’ICIJ le 3 avril. C’est le cas du 360.ma par exemple, où « le choix a été fait de ne pas parler à nouveau de l’enquête », nous apprend, sous couvert d’anonymat, une source proche de la rédaction. Le360.ma, indiquait en effet dès le 7 mars dans une tribune qu’« un voilier et un appartement, appartenant au roi Mohammed VI, font l’objet d’une pseudo enquête (…) dans l’espoir de créer du sensationnel. » Ayant eu accès à l’e-mail de questions d’un journaliste du consortium adressé à Mounir Majidi, le site d’information — dont Aziz Daki, proche de Majidi, est l’actionnaire principal – révélait ainsi au grand public l’existence des sociétés SMCD Limited et Immobilière Orion SA. Ces premières révélations permettaient au Desk.ma, le 9 mars, de mettre en lumière la participation de SMCD Limited au capital d’Alliances.
Avec la mise en ligne le 3 avril du site des Panama Papers, certains médias électroniques marocains se saisissent de l’affaire et relaient la présence du nom de Mounir Majidi dans ces fuites. Le directeur de publication d’un média électronique désireux de garder l’anonymat résume son état d’esprit à ce moment-là : « Le travail journalistique c’est de rendre compte de ce déballage de données qui étaient censées rester confidentielles. C’est important de transmettre l’information avec sérieux et sérénité, sans aller dans les extrêmes, comme ceux qui parlent quasiment de détournement de biens publics et d’autres qui au contraire font diversion et essayent de camoufler. »
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Plus royaliste que le roi
« L’autocensure de certaines publications est plus conservatoire que la censure d’État ! », rigolerait presque Taoufik Bouachrine, directeur du quotidien arabophone Akhbar Al Youm. « Alors que Le Monde est dans tous les kiosques, eux ne parlent pas des Panama Papers ! » Pour lui, « ce sont des documents très intéressants, utiles, comparables à Wikileaks et aux révélations de Snowden, mais la limite reste l’accès à l’information. On a donc traité l’info tel qu’elle a été publiée. On continuera, dans l’édition du 6 avril où nous traduisons les papiers du Monde et où mon édito parlera de l’importance de ces informations pour le Maroc, pour la presse et pour la transparence. »
Seuls les 108 médias membres du consortium ont accès aux 2600 gigaoctets de données qui ont fuité, faisant naitre un sentiment de frustration chez certains journalistes marocains. « La problématique avec ce genre de révélations, c’est qu’elles ouvrent l’appétit », analyse Mohamed Ezzouak, directeur de publication de Yabiladi.com. « On peut difficilement aller plus loin que l’ICIJ et ses médias partenaires. Les médias marocains sont sous capitalisés, donc mener ce genre d’enquête c’est extrêmement compliqué. C’est déjà compliqué de creuser pour l’argent public, alors pour de l’argent privé, je vois mal comment faire. », déplore-t-il.
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Information secondaire
C’est cette position, où « les journalistes se retrouvent à faire de la reprise », qui incite Mohamed Benabid, rédacteur en chef de L’Economiste, à la vigilance : « c’est un sujet séduisant bien entendu même si je regrette que le journalisme se glorifie aujourd’hui du statut, guère valorisant à mon sens, de compilateur de données. Où est la part d’investigation, où est le mérite du journaliste quand l’essentiel du travail a été assuré hors profession par scraping ? » L’Economiste du 5 avril consacre néanmoins une page aux révélations des Panama Papers en anglant sur des personnalités concernées qui ne sont pas marocaines. Un choix éditorial qu’il justifie par le respect de la vie privée : « A L’Économiste il n’y a qu’une consigne : le droit au respect de la vie privée. Dans le contexte marocain, tout est vite exploité par des parties qui peuvent ne pas être bien intentionnées. »
« Savoir si le roi a acheté un bateau, ou un appartement, ce n’est pas très important au final », accorde Ali Amar, directeur de publication du Desk.ma. « Même si on découvre que l’opération est légale, le problème se situe au niveau de l’éthique et de la morale. Pourquoi utiliser une société offshore, dans quel but ? C’est là la question fondamentale », résume-t-il alors que ses investigations se poursuivent.
Le reste du monde
Sur un sujet traditionnellement considéré comme une ligne rouge, force est de constater que la presse marocaine n’a été muselée que par son éventuelle autocensure et son manque d’accès à l’information. « En Chine, les révélations, tombées en pleine fête des Morts, ont été accueillies en République populaire par un silence assourdissant : aucun média n’y consacre sa “une” et tous omettent de citer les cas liés à des dirigeants chinois. Le quotidien nationaliste Global Times a publié le 5 avril un éditorial sur les “forces puissantes à l’œuvre derrière les Panama papers”, il y voit la main de Washington », lit-on dans Le Monde daté du 6 avril. Plus proche de nous, en France, « BFM TV a tardé à évoquer les Panama Papers. Ils agitaient d’autres sujets comme un écran de fumée et, quand enfin ils l’ont traité, ce n’était que pour relayer le communiqué de presse de leur actionnaire, Patrick Drahi, concerné par l’affaire. C’est le cas de Libération et de L’Express également. », rappelle le directeur de publication d’un média électronique marocain. En France, en revanche, les révélations ont suscité des réactions politiques — si incantatoires soient-elles — avec la réinscription du Panama sur la liste des paradis fiscaux notamment. « Je suis déçu qu’au Maroc, ces révélations ne suscitent pas un vrai débat sur les sociétés offshore ni de réactions des partis politiques, des élus ou de la société civile », conclut Ali Amar.
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