Elles se succèdent quasiment toutes les semaines. Les hommages se multiplient, les rétrospectives de carrières brillantes s’étalent sur tous les magazines. Les images d’archives sont ressorties. La nostalgie se mêle au chagrin. De toute façon, c’est dans ta région du monde qu’on a inventé la mélancolie. Ce début d’année semble plus être celui du souvenir et des commémorations que celui de la projection.
Et il y a quelques jours, un génie a tiré sa révérence. Tayeb Saddiki, immense personnage de théâtre, s’en est allé faire danser les anges. Beaucoup l’érigeront au rang de monument. Mais pour toi, il n’est surtout pas un monument. Tout sauf un monument. Un monument, c’est de pierre, de marbre ou d’argile. L’immense Tayeb Saddiki était de chair, de sang, de vie et de lumière. Tout sauf de pierre, de marbre ou d’argile. C’était un monstre sacré qui aurait pu inspirer une mythologie à lui tout seul, qui inspirerait des monuments forcément colossaux. Il a tout osé. Il a beaucoup inventé aussi. Il a su fabriquer la modernité du théâtre marocain. Il a toujours respecté et mis en valeur les traditions, les vraies traditions. Il vouait un amour immodéré à la culture millénaire de son pays dont il était fier. Il a su transformer un patrimoine local en objet d’art universel. Il a su révéler les talents, faisant monter sur les planches de nombreux joyeux saltimbanques année après année, permettant l’éclosion de générations d’artistes. Il a vu, lu, entendu, écrit, dessiné et raconté des histoires, ce grand monsieur.
Un oiseau rare donnant l’impression d’être toujours sur un trône de lumière qui laisse à quiconque l’ayant ne serait-ce qu’aperçu, un souvenir indélébile. Ce regard puissant, cette voix inoubliable, cette allure inimitable. Un personnage hors normes, fascinant et intrigant, captivant et mystérieux, devant lequel personne ne pouvait rester indifférent. Sans doute parce que lui-même ne connaissait pas l’indifférence. Un tempérament aussi flamboyant, c’est forcément ou le feu ou la glace qui l’anime, jamais l’entre-deux. Rares sont les gens qui savent autant attirer la lumière que la refléter, et Tayeb Saddiki était l’un de ces êtres rares et précieux. On ne pouvait que le regarder, et lui prenait toujours le temps d’échanger avec ceux qui l’approchaient. Il savait donner à chacun le sentiment d’être unique.
Et toi, tu garderas toujours le souvenir de ce regard perçant et lumineux.
Aujourd’hui, si tu aimes l’art et les spectacles, c’est parce que les siens t’en ont donné le goût. Si tu es viscéralement attachée aux traditions de ce pays, c’est parce qu’il a su les magnifier. Si rien ne te fait plus voyager que les contes, c’est sans doute parce qu’il était le plus grand des conteurs. Si tu te sens irrésistiblement attirée par tout ce qui semble sortir de l’ordinaire, c’est parce qu’il a su montrer que l’originalité était un sublime point de vue sur le monde. Alors, à défaut de savoir rédiger un hommage vibrant et émouvant, à défaut d’avoir les connaissances pour retracer son immense carrière, tu aimerais te contenter de lui dire merci. Merci Monsieur Tayeb Saddiki. Merci pour la lumière.