Tu es rentrée de vacances et tu as déjà envie de repartir. Tu as fait les ventes privées de tes boutiques préférées et les soldes de tous les concept-stores que Zee t’a fait découvrir. Tu as reçu un coup de fil de ta banquière un peu affolée. Tu as repris les mondanités artistiques. Tu as tenté de te mettre au régime et tu as succombé à un burger. Pas de doute, tu es bel et bien en 2016. L’année est entamée. Tu t’ennuies déjà. Tu passes trop de temps sur les réseaux sociaux. Tu scrutes le dernier potin, l’avant-dernière tendance et la prochaine polémique. Et la semaine dernière, ton fil d’actualité Facebook a été envahi par une série d’images assez violentes. Des manifestants tabassés par les flics. Des manifestants blessés et ensanglantés. Tu trouves ça révoltant, presque par réflexe.
Des gens blessés, ça ne peut pas laisser indifférent. Alors bien évidemment tu n’es pas indifférente. Tu es assez choquée de voir que des scènes pareilles ont encore lieu en 2016, dans le plus beau pays du monde. Ce pays a tout de même la capacité extraordinaire de gérer certaines situations de manière tellement étrange que tu te retrouves, au nom de valeurs humaines, universelles et tout simplement basiques, à défendre des gens qui défendent une cause que tu ne défends pas forcément. Ça ne semble pas très clair? C’est normal. C’est extrêmement confus comme situation. En gros, avant même de comprendre ce qu’il s’est passé, tu es choquée. Parce qu’il faut bien admettre que le simple fait de voir des manifestants ensanglantés est une image choquante. Tu aimerais juste que les choses se passent de manière un tant soit peu normale. Histoire de ne pas avoir à t’indigner toutes les semaines. Tu aimerais t’offrir le luxe de l’indignation sélective. Le problème, c’est que bien souvent ceux qui disent leur mécontentement à haute voix se font tabasser. Et du coup tu te retrouves à prendre leur défense. Alors que leur cause, certaines fois tu t’en fous complètement, et d’autres, tu es absolument contre. Cette fois c’est sur des profs qu’on a tapé. Pour être totalement honnête, tu ne connais ni les tenants ni les aboutissants de l’histoire. Tu ne sais pas ce que réclamaient ces professeurs. Tu ne sais pas à quel point leurs revendications sont légitimes. Mais là encore, peu importe! Quand bien même ils abuseraient un peu, rien ne peut justifier qu’ils se fassent tabasser au point de finir en sang. Et dire que le chef du gouvernement et les siens avaient fait de la stigmatisation de l’usage de la matraque l’une de leurs punchlines pendant leur campagne électorale. Mais ça, c’était avant. Le présent, la réalité, c’est autre chose. Des professeurs stagiaires, de futurs enseignants, se sont fait tabasser par des flics. Et ne serait-ce que par amour des allégories, tu trouves ça ignoble.
Dans un pays où l’éducation nationale est dans un état pour le moins déplorable, ces images sont encore plus sinistres. Et dire que le parti au pouvoir était censé moraliser la vie publique! Tu n’as sûrement pas la science infuse mais tu te dis que la morale et l’école ça doit tout de même avoir un lien. Et puis, tout d’un coup, un poème te revient en mémoire. Il te semble que Ahmed Chawki a écrit un jour: “Respecte l’enseignant, l’enseignant a failli être un prophète”. Assez naïvement, tu le trouves beau ce vers, plein de sagesse aussi. Mais après avoir vu les images de ces visages en sang, tu te demandes si ceux qui te gouvernent n’ont pas retiré la morale de la religion pour n’en garder qu’une apparence assez barbante.