Zakaria Boualem et la surprise Ikea

Par Réda Allali

Zakaria Boualem est détendu, heureux, enfin rassuré. Nous sommes entre de bonnes mains, il n’y a plus de doute possible, cette semaine est venue en porter la preuve éclatante.

Voici la démonstration, c’est parti. Nous avons été attaqués dans notre intégrité territoriale par une pseudo-démocratie, jusque-là considérée comme amie à cause de la masse extraordinaire de blondeur qu’elle produit sans effort. Il fallait réagir, bien entendu. On aurait pu rappeler notre ambassadeur sur place pour protester, mais il se trouve que, pour une raison inconnue, nous n’en avons pas. C’est dommage, il aurait pu un peu défendre notre dossier avant que le désastre ne se présente.

Il ne restait donc plus qu’une solution pour défendre notre dignité : s’en prendre à Ikea. Logique, implacable et efficace. Mais nous l’avons fait à la marocaine, littéralement, c’est-à-dire en produisant un de ces prétextes dont nous avons le secret. Le magasin, apprend-on de la bouche de notre Porte-parole du gouvernement, ne dispose pas du certificat de conformité. Oui, ladies and gentlemen, nous donnons des leçons de conformité aux Suédois, c’est un geste technique remarquable qu’il faut saluer en sautant une ligne.

Le Maroc, donc, explique que le magasin suédois n’est pas conforme, contrairement à Derb Ghallef, aux toilettes du Stade d’honneur, aux urgences de l’hôpital Ibn Rochd, à la décharge de Médiouna, au rayon poissons du souk de Lahjajma, à l’éclairage public de Hay Sadri, au cimetière Arrahma, etc.On peut continuer pendant des pages, ce n’est pas un magazine qu’il nous faudrait, mais une encyclopédie. Tout cela est conforme, donc, et Ikea non.

Zakaria Boualem a beau prendre des airs blasés, jouer à l’ancien combattant, feindre de ne s’étonner de rien, il faut tout de même avouer qu’il ne l’avait pas vu venir, celle-là. Ils ont réussi à le surprendre, les bougres! Imaginez un peu la situation inverse: nous avons vexé la Suède, on se demande bien comment, mais c’est une hypothèse de travail. Aussitôt, le gouvernement suédois décide de fermer la boucherie halal de Abdoulqoudous Boufous, sise en banlieue de Malmö, en expliquant qu’elle n’est pas conforme.

Notez bien qu’il est bien possible, soit plus facile, de déceler des problèmes de conformité chez lui que chez Ikea, mais le sujet n’est pas là. Et ce bon boucher de protester, d’expliquer qu’il est victime d’une injustice, qu’il n’y est pour rien, qu’il veut juste vendre tranquillement ses côtelettes, qu’il n’a vexé personne, lui, qu’on ne lui a jamais demandé son avis et que d’ailleurs il ne fait pas de politique, aôudou billah. Voilà, en gros, notre stratégie, c’est formidable.

Nous sommes donc en croisade administrative contre la Suède, Zakaria Boualem n’aurait jamais pensé devoir écrire une chose pareille. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il se dégage avec le temps un vrai style national. Vous connaissez notre héros, il adore l’analyse de style. Chez nous, la résolution de problèmes donne lieu à une sorte de gesticulation assez touchante, avec des moments de vraie créativité, un certain panache, et une spectaculaire capacité à affronter le ridicule sans trembler. Oui, c’est le plus important finalement, nous avons un style. Souvenez-vous, nous sommes le pays qui a libéré un prisonnier politique après des années de captivité en expliquant, soudain, qu’en fait il était brésilien. L’affirmation était tellement convaincante qu’on s’attendait à le voir surgir sur nos écrans à la Coupe du Monde avec un maillot jaune et un short bleu .

Oui, les amis, vous pouvez vous reposer, nous sommes entre de bonnes mains. Parce que la créativité, paraît-il, est le secret de la réussite et que, al hamdoulillah, nous n’en manquons pas. Et merci.