Jeudi 18 décembre, les autorités ont annoncé qu’elles allaient détruire les dernières maisons et baraques du douar Ouled Dlim, à Rabat, dans lesquelles vivent encore 120 familles. Ces dernières, soutenues par plusieurs associations, dont Attac Maroc et l’AMDH, lancent un appel au secours qui a d’autant plus de force qu’il ne s’agit pas de la simple destruction d’un bidonville, construit illégalement sur le terrain d’un particulier ou d’une commune.
Des terres accordées à la tribu guich oudaya au XIXe siècle
Car le douar est situé sur des terres collectives agricoles, plusieurs milliers d’hectares attribuées à la tribu guich oudaya en 1838 en compensation de services – militaires – rendus au sultan Moulay Abderrahmane. Des terres sur lesquelles les membres de cette tribu ont donc des droits. Surtout qu’un dahir de 1919 précise que la responsabilité des terres guich -contrairement aux autres terres collectives- revient aux tribus auxquelles elles avaient été confiées. Cependant, depuis le protectorat, et jusque dans les années 80, la terre a petit à petit été morcelée, certains lots ont été vendus. Un processus qui s’est amplifié avec avec l’extension des villes de Rabat et de Temara, ces terres sont désormais situées près du quartier de Hay Ryad, un quartier résidentiel en pleine expansion.
Et en 2003, le ministère de l’Intérieur les a transférées à la Société d’aménagement Ryad (SAR), société publique créée en 1983, chargée de l’aménagement et de la commercialisation du projet Hay Ryad, et dirigée par la Caisse de dépôt et gestion (CDG). La convention prévoyait le dédommagement et le relogement des familles qui vivaient et exploitaient ces terres. Mais si une grande partie d’entre elles ont accepté la transaction et se sont vus raisonnablement dédommagés, d’autres se sont vues écartées, ou offrir une compensation qu’elles considèrent insuffisante pour se reloger.
« Tout ce que nous voulons c’est un endroit où vivre, que ce soit ici ou ailleurs »
On retrouve des cas devenus des « classiques » dans ce genre de situation : certaines femmes seules, divorcées ou veuves, ne se sont pas vues offrir de dédommagements, n’étant pas considérées à égalité avec les « chefs de famille » masculins. De même, les enfants mineurs qui, depuis la convention (et le recensement des foyers), se sont mariés et ont fondé une famille (qui vit sur les terres guich) sont écartés.
Enfin, « au fur et à mesure, les compensations ou offres de relogement ont été réduites », explique Soraya El Kahlaoui, sociologue et chercheuse − elle travaille notamment sur la contestation sociale et plus particulièrement sur les luttes urbaines − qui suit le dossier de près. « Une mère de famille s’est ainsi vue offrir une parcelle de 90 m2 », sans qu’elle ait les moyens de construire une maison dessus. Déjà, en février et mars dernier, une trentaine de logements, mais aussi des petits commerces, pépinières et cultures vivrières avaient été détruits. Les familles qui y vivaient avaient alors construits des baraques de fortune, celles-là mêmes qui sont menacées de destruction ce 18 décembre avec une dizaine de bâtisses en dur toujours debout.
Pourtant, assure Abdallah Al Hajazi, l’un des membres du douar qui représente les familles menacées d’expulsion, « tout ce que nous voulons c’est un endroit où vivre, que ce soit ici ou ailleurs ». Il explique que sur les 120 personnes (selon lui) qui résident toujours sur le terrain guich, la moitié sont censées avoir reçu un logement économique dans un projet de Dyar Al Mansour, filiale de la CDG, « mais quand ils y vont, on leur demande des papiers que la SAR ne leur a pas donnés ». Exaspéré, il indique que les habitants du douar sont allés à plusieurs reprises « présenter leurs réclamations à la société d’aménagement Ryad, qui à chaque fois nous promet que nos dossiers vont être réglés, mais rien ne bouge ».
Droits bafoués et terres bradées
Cette affaire est compliquée par plusieurs procédures judiciaires, dont certaines ont donné raison à des descendants de la tribu guich et d’autres à la SAR, et certaines sont toujours en cours. Cependant, elle pose plusieurs questions de fond. Ainsi « comment le ministère de l’Intérieur a-t-il pu transférer la propriété de ces terres à la SAR ? » demande Soraya El Kahlaoui. Car le dahir du 27 avril 1919 sur les terres collectives spécifie que les droits et décisions sur les terres guich reviennent aux représentants de la tribu qui en a la jouissance. Une spécificité prise en compte dans un dahir plus récent, qui remonte à 1969 (Article 1er). D’ailleurs, selon notre confrère Médias24, « l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie produit, encore aujourd’hui, des extraits dudit titre foncier reconnaissant les droits de la tribu guich ». D’autre part, la gestion des dédommagements par la SAR, qui a le droit d’exproprier « pour utilité publique » afin de veiller à l’aménagement de la zone, est elle-même problématique : pourquoi les femmes chef de famille se voient-elles écartées ou proposer des dédommagements moindres ? Enfin, la gestion des ces terres par la SAR avait été épinglée par le rapport de la Cour des comptes de 2006, qui remarquait que « la commercialisation des lots collectifs constitue la principale source de financement du projet Hay Ryad » tout en pointant du doigt le manque « d’appel à la concurrence » pour attribuer les terrains. Du coup, la « CDG, avec sa filière la CGI, est le premier bénéficiaire des lots collectifs dans l’opération « Hay Ryad » avec approximativement le 1/5 de la superficie plancher totale vendue ». Pour finir, le rapport remarquait que les lots – notamment commerciaux – étaient cédés à des prix bien en dessous de ceux du marché… En 2009, un nouveau rapport de la Cour des comptes précise que la SAR n’a pas jugé bon de prendre en compte les recommandations de l’institution, ou du moins « n’a pas communiqué les situations du suivi des recommandations qui leur ont été demandées par la Cour des comptes ».
Il ne s’agit pas de projets résidentiels en arrière-plan, mais du futur siège de l’Agence Nationale de la Conservation Foncière du Cadastre et de la Cartographie (ANCFCC).