Aujourd’hui, tu as pas mal fait semblant de bosser, tu as actualisé à peu près sept cents fois ton fil d’actualité Facebook de peur de rater un tberguig absolument indispensable à ta survie, tu t’es acheté un gilet moutarde que tu ne mettras probablement jamais et tu as bien évidemment whatsappé avec Zee. Une journée somme toute assez banale. Sauf que, aujourd’hui, contrairement à d’habitude, tu t’es retrouvée à marcher dans la rue. Non pas par une quelconque envie d’aventure ou d’exotisme dont ton esprit de moineau ne raffole d’ailleurs pas, mais tu as dû marcher pour l’unique raison que tu n’as pas trouvé où te garer juste à côté de l’endroit où tu avais rendez-vous. Et en moins de vingt secondes, tu as eu droit au traditionnel concert auquel a droit toute fille qui marche seule dans la rue. Une polyphonie extrêmement agaçante qui mélange sifflements, tentatives de drague piteuses et autres sons gutturaux peu attrayants. Et à celui qui s’imaginerait que ton aura se sent grandie par tant de sollicitude, tu as envie de rappeler que ça n’a rien à voir avec de la drague, aussi lourde soit-elle. C’est plus de harcèlement qu’il s’agit.
Entre les mecs qui sifflent et ceux qui t’affublent de noms d’animaux ou de légumes, on est bien d’accord que ce degré d’emmerdement n’a rien à voir avec la drague. A ce propos, tu te demandes à quel moment la logique du cerveau masculin a considéré que l’artichaut était un aliment qui pouvait devenir synonyme de compliment à l’égard de la gent féminine. Un complexe d’Œdipe mal digéré avec un tagine trop gras ? Un élan poétique qui inspirerait des métaphores trop subtiles pour que tu les comprennes ? Quoi qu’il en soit, tu n’as pas pu faire trois pas sans qu’un mec ne t’alpague. Et là encore, comme pour plein d’autres aberrations qui rythment ton quotidien, tu es censée trouver ça normal. Eh ouais, tu es une meuf, la rue ne t’appartient pas. Point. Donc tu te fais emmerder. Logique. Logique selon qui ? Selon quoi ? Ça, le mode d’emploi du piéton ne le précise pas. Tu te dis qu’il y a peut-être une bande de fées qui se penchent sur les berceaux des mecs de ce pays en leur donnant les clés de la ville. Et toi, tu dois fermer ta gueule et marcher en regardant tes pieds. En te sentant presque crade. C’est que c’est assez écœurant de sentir des regards graveleux qui te matent juste parce que tu es une fille et que tu marches ! Et bien évidemment que non, tu n’étais pas en jupe. Non, tu ne portais pas un truc super-moulant. Et non, ton pull à col rond n’offrait aucune vue plongeante. Cela dit, tu la trouves débile cette question de « tu portais quoi ? » qui revient dès qu’une meuf se plaint. Personne ne reproche aux mecs en gandoura transparente d’être indécents. Et ceux qui se grattent les coucougnettes, tu dois aussi trouver ça normal.
Et si une meuf se promenait dans la rue en se tripotant les nichons, on en penserait quoi ? A juste titre, que c’est dégueulasse. Mais, visiblement, avoir des coucougnettes ça donne un pouvoir suprême dans l’espace public. Il y a quand même un truc qui te turlupine, ce mec qui te matte, qui te siffle, qui essaye d’interagir avec toi, concrètement, il attend quoi ? S’attend-il à quelque chose d’ailleurs ? Ou c’est juste un réflexe. Une sorte de toc généralisé. Parce qu’à bien y regarder, le type n’a même pas l’air d’espérer. Il te balance ce que son esprit scabreux et frustré considère comme un compliment, en passant, presque nonchalamment. Bref, le mec fait ça par réflexe. Tu te rappelles alors de ces grands discours sur l’inné et l’acquis. Tu refuses de croire que c’est inné. Aucun être humain ne peut naître graveleux et relou. Tu te résous donc à croire que c’est un truc acquis. Et tu finis par te dire qu’il y a des mères qui ont dû rater un truc ou deux dans l’éducation de leurs rejetons.