C’est une histoire attribuée à Hassan Al Basri, grande figure religieuse musulmane du VIIe siècle, réputé pour sa piété, sa renonciation aux fastes de ce monde et à l’appel enivrant du pouvoir. Pour accomplir sa prière du vendredi, Hassan Al Basri s’est rendu dans une mosquée de sa ville, Bassora en Irak, et s’est mis à écouter, avec le recueillement qui sied au dévot, le prêche de l’imam. Mais ce dernier, à la fin de son sermon, se met à prier avec ferveur pour le calife et à énumérer ardemment ses bienfaits et ses bonnes actions. Exaspéré par le zèle de l’imam, Hassan Al Basri se lève avant que le prêche ne prenne fin, se dirige vers la sortie et demande aux autres fidèles de faire comme lui, en leur disant : « Debout, l’imam a invalidé cette prière ». Pour cet homme, le discours de l’imam, en plus de sa servilité, était inutile et n’avait pas sa place à la mosquée. Conçue comme un lieu de rassemblement et de communion, où les fidèles laissent leurs divergences à l’entrée, la mosquée doit être à l’écart de la propagande du pouvoir ou de l’opposition.
C’est dans cette logique qu’on ne peut qu’approuver la décision récente d’interdire aux préposés religieux, notamment les imams, d’avoir une appartenance politique. Il ne s’agit pas d’une atteinte à un droit ou à une liberté, mais d’une clarification et d’une séparation nécessaires entre deux fonctions : celle d’imam, qui rassemble et réunit, et celle de militant, forcément partial et engagé pour un camp contre un autre. La position même du minbar, pupitre où s’installe l’imam dans une mosquée, et sa surélévation vis-à-vis des fidèles sont symboliques de l’autorité morale de ces guides spirituels, placés au-dessus des clivages et des dissensions. La séparation entre les sphères politique et religieuse, entre deux mondes qui ne doivent pas se rejoindre, est plus qu’indispensable. Elle garantit que la spiritualité ne soit pas pervertie et corrompue par la quête du pouvoir, et empêche que le jeu politique ne soit faussé et déséquilibré par l’usage tendancieux du discours religieux.
L’une des grandes avancées de la Constitution de 2011 est justement d’avoir introduit cette distinction, en spécifiant dans l’article 41 le rôle religieux du roi et ses missions. Une précision qui a mis fin à l’usage intempestif par Hassan II du fameux ancien article 19 de la Constitution, où les pouvoirs politique et religieux du roi étaient confondus. En l’absence d’institutions historiques qui peuvent jouer le rôle de régulateur des affaires religieuses, comme Al Azhar en Égypte ou les muftis dans d’autres pays, c’est la Commanderie des croyants qui en a la charge et la responsabilité. Cette précieuse séparation mérite d’être protégée et entretenue, y compris par la monarchie. Le spectacle désolant de l’utilisation des mosquées en 2011, lors du référendum constitutionnel, est à éviter et bannir. Comme les autres lieux de culte, les mosquées sont édifiées pour nourrir l’âme et transcender les hommes, le temps d’une prière, au-delà des intérêts et tentations de ce bas monde. Veillons à nous y tenir.